Électro berlinoise et autres opiums du peuple
1 h 58. Les murs tremblent. Dans la foule de plus en plus dense, on parvient, au bout de 33 SMS, à retrouver des amis arrivés un plus tard par un autre convoi, parmi lesquel(le)s Janne (*). Les retrouvailles sont chaleureuses et l’ambiance est à son comble. Un grand escogriffe au visage poupin me propose timidement de la coke, du «speedball», de l’héro. Hygiène garantie : dans un repli de sa veste, il a des seringues sous emballage scellé. Je suis impressionné par un tel gage de professionnalisme tout germanique, mais m’abstiens malgré tout. En l’espace de deux heures on aura tenté de me refourguer autant de came que pendant trois années berlinoises durant lesquelles je ne me suis pas privé de sorties, loin s’en faut.
2 h 15. « Ça va envoyer du lourd, là», me prévient Lucas, expert en électro. Kalkbrenner quitte la scène sur un andante grazioso de fort belle facture, et laisse la place à un autre monument de la Nacht berlinoise, Sven Väth, au nom prédestiné pour être DJ (ça se prononce «Fête», ha, ha). Contrairement aux autres vidéos de ce récit, la ci-dessous a été filmée et mise en ligne par mes soins. Elle est, malheureusement, de bien moins bonne qualité que cet autre extrait, par exemple.
3 h 25. Sven-la-Fête ne mollit pas. Badaboum-boum-boum. Berlinetto electrissimo. Sont-ce Mario et Luigi à ma droite ? Suis-je encore clean ou bien tous ces psychotropes en circulation autour de moi ont-ils fini par m’attaquer le cerveau ? Pour m’assurer que je ne suis pas en proie à des hallucinations, je prends des photos: mon SonyEricsson-même-pas-smartphone, lui, a encore tous ses esprits, et confirme que ce sont bien les héros de mon enfance qui se trémoussent à côté. La classe !
4 h 09. À propos d’enfance, je me fais la remarque qu’il y a énormément de petits jeunots autour de la vingtaine. La jeunesse est friquée, de nos jours, pour se payer des soirées aussi chères et toutes ces… substances exotiques. En fait, je suis au bal des débutantes à la mode berlinoise, en quelque sorte. Oui, l’électro s’embourgeoise indéniablement. Pourtant, voilà qu’une créature édentée, à la peau lépreuse, aux yeux caves, à la chevelure pitoyablement clairsemée, interrompt ma rêverie pour me vanter, entre deux borborygmes, les mérites de sa dose de «Krokodil» élaborée avec tout le savoir-faire des banlieues délabrées de Tcheliabinsk. Épouvanté par cette apparition sépulcrale, je prends mes jambes à mon cou.
4 h 20. Sven Väth, après deux heures de show qui te molto ecclattissimo les oreilles, laisse la place à Plastikman. L’intro est électro-psychédélique à souhait, et nous transporte dans une sorte de vaisseau spatial, à travers une galaxie lointaine. Cependant, histoire de changer de cadre, nous retournons dans le Hall 2, spacieux mais tellement petit en comparaison avec l’immense Hall 1. Ici, c’est M.A.N.D.Y qui assure l’ambiance depuis un bon moment, et c’est chaud. Dans la petite boutique de goodies stratégiquement située entre les deux salles, un cabas attire notre attention, et c’est Janne (*) qui m’explique l’évidence : ah ! qui disait que la techno, ça ne pouvait pas se chanter ? Les voilà donc, les paroles de l’électro berlinoise (moderato cantabile) ! Évidemment, ce n’est pas du Brassens, mais essayez de danser pendant six heures sur Gare au gorille pour voir…
5 h 50. C’est le drame. Un coupe-jarret arrache à Leandro (*) l’Espagnol la chaîne en or qui dépassait de son col rond, nous laissant à peine le temps de l’apercevoir et encore moins de réagir. Sûrement un consommateur en mal de liquidités pour payer ses petites friandises… Tout compte fait, on n’est pas qu’entre gens comme il faut ici. L’incident, rarissime dans notre Berlin ultra-safe, où l’insouciance est la règle, plombe quelque peu l’ambiance dans le groupe.
6 h 14. Je rends les armes. «Mais non, pars pas maintenant», plaide Lucas. «T’es trop con de t’en aller au meilleur moment», renchérit Pierre (*). Tout bien réfléchi, justement, je préfère partir au meilleur moment, surtout après six heures de danse non-stop, puisque tout ce qui vient après sera forcément moins bien. Et puis jenpeupu, quoi. Il me faut un minimum de force pour regagner mes pénates.
7 h 07. C’est l’aube, d’un gris rosâtre dilué dans les nappes de brouillard. Je m’écroule dans mon lit chaud et douillet. La prochaine fois, j’irai au BerMuDa avec 2.000 euros en liquide histoire de faire mon shopping pendant la soirée. Ou pas.
8 h. Les derniers DJ prennent place à leurs platines, devant un public de zombies aux fosses nasales encombrées de poudre (sans doute). Coooool.
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