8 mars 2013

Sales porcs phallocrates !

L’autre jour, alors que je prenais connaissance des dernières conneries infos vachement importantes publiées sur la page de discussion d’un forum de Français à Berlin dont je suis membre, voilà-t-il pas que je tombe sur un ce lien posté par un autre membre, claironnant sous les vivats de la foule en délire, le scoop suivant : «Allemagne : Une pasteure en couple avec une secrétaire d’État annonce sa grossesse [Munich And Co, Bild]». Comme si cela ne suffisait pas, une courte dépêche enfonce le clou, au cas où, comme moi, vous auriez naïvement cru à une faute de frappe multiple dans le titre :

“Eli Wolf, 46 ans, pasteure protestante à Francfort, et Marlis Bredehorst, 55 ans, secrétaire d’Etat à la Santé du Land de Rhénanie du Nord-Palatinat, du parti écologiste allemand (die Grüne), en couple depuis 1997, attendent un enfant, ont-elles annoncé à Bild. Et, expliquent-elles, cette annonce a été saluée par des félicitations jusqu’au sein de leur église. Sur Munich and Co [fr] et Bild [de].

À la vue de cette horreur contre-nature, mon sang n’a fait qu’un tour. Oui, chers gens, vous ne le saviez peut-être pas, mais j’ai, et j’assume, mon côté conservateur-tradi-old school. Je le cultive comme mon petit jardin secret, mon dark side rien qu’à moi. C’est comme ça, on ne se refait pas. Et j’ose même espérer que certains d’entre vous feront preuve d’un minimum de bon sens et partageront sans réserve mon avis : que deux femmes autour de la cinquantaine décident d’avoir un bébé ensemble, soit, parfait, très bien, rien à redire, il faut vivre avec son temps, et touça touça, surtout en cette période de «mariage pour tous», mais alors oser écrire «une pasteure» !!! Aaaaarrrrrggghhhh ! Naaaaoooonnnn ! Pitié ! Assurément, implorai-je le Ciel avec la ferveur qui sied à l’intégriste aux abois, il existe un enfer pour châtier dans d’éternels tourments les coupables de péchés aussi ignobles contre la langue de Molière !

C’est la réponse cinglante que j’ai voulu faire à l’auteur de ce post (qui, au passage, était bien un auteur, et pas «une auteure») afin de le couvrir de ridicule dans un forum franco-berlinois que je transformerais volontiers en pilori. Mais j’ai réussi à maîtriser in extremis mes spasmes de dégoût et j’ai lâché l’affaire. Ce n’était pas le sujet du débat ; d’ailleurs, au passage, il n’y a pas eu de débat. La nouvelle de cette grossesse n’a pas fait de vagues sur le site. Et puis, bien entendu, je suis au courant qu’il existe cette tendance vers la féminisation de nombreux termes, en particulier les noms de profession.

À titre personnel, je suis contre ce développement et préfère éviter ces néologismes, que je trouve en général moches et grammaticalement illogiques, mais je ne puis empêcher la langue d’évoluer et de se moderniser, comme elle l’a toujours fait depuis des siècles, quoi qu’en disent les ronchons (parmi lesquels je me compte) bataillant vaillamment à l’arrière-garde des évolutions linguistiques. Tiens, d’ailleurs, à propos de «quoi qu’en disent» et de Molière, c’est bien ce dernier qui, dans Les Femmes savantes (donc encore une histoire de bonnes femmes), raillait copieusement ces pédants qui s’arc-boutaient aux archaïsmes préconisés par le grammairien Vaugelas, en particulier dans cette fabuleuse scène du «quoi qu’on die» (Acte III, scène 2). «Quoi qu’on die» est la version ancienne de «quoi qu’on dise», et son emploi était déjà désuet à l’époque du sieur Poquelin, qui en a fait un symbole de la cuistrerie de ces érudits auto-proclamés qui proliféraient déjà parmi ses contemporains.

“PHILAMINTE

Faites-la sortir, quoi qu’on die:
Que de la fièvre on prenne ici les intérêts:
N’ayez aucun égard, moquez-vous des caquets,
Faites-la sortir, quoi qu’on die.
Quoi qu’on die, quoi qu’on die.
Ce quoi qu’on die en dit beaucoup plus qu’il ne semble.
Je ne sais pas, pour moi, si chacun me ressemble;
Mais j’entends là-dessous un million de mots.

Ainsi, si Molière revenait parmi nous, sans doute moquerait-il tout aussi cruellement les grincheux qui protestent et résistent aux courants modernisateurs de la langue avant de s’en retourner rôtir en enfer comme il mérite. De toute façon, le français n’a pas attendu la vague de féminisation des noms pour tolérer un grand nombre de termes pas follement élégants. Franchement, vous trouvez qu’un mot comme «bouilloire» sonne particulièrement bien à l’oreille ? Et même «grossesse», d’ailleurs, n’est pas le terme le plus musical qui soit. Sans parler des innovations sémantiques comme «implémenter», «proactif», «réceptionner» et toutes ces horreurs qui enjolivent mon quotidien au bureau. Tout compte fait, «pasteure», en comparaison, c’est pas si pire comme disent les Québécois, experts ès mutilations modernisations de notre belle langue.

Alors à l’occasion de cette 103ème journée mondiale de la Femme, lâchons-nous complètement et féminisons la langue à tour de bras. Encore faut-il ne pas se tromper dans la définition des termes féminins que l’on introduit. On aurait par exemple :

Pasteure (n. f.) : ministre protestante, membre féminin du clergé luthérien.

Ingénieure (n. f.) : professionnelle exerçant des activités de conception, d’innovation et de direction de projets, de réalisation et de mise en œuvre de produits, de systèmes ou de services impliquant la résolution de problèmes techniques complexes, pour une rémunération inférieure d’environ 20% à celle de son collègue l’ingénieur (cf. ingénieur).

Proviseure (n. f.) : titre donné à la directrice de certains établissements scolaires, généralement rémunérée 20% à 30% de moins que son collègue le proviseur,à ancienneté et qualifications égales.

Sapeuse Pompière (n. f.) ou Sapière Pompeuse (n. f.) : femme effectuant le métier de sapeur pompier et se contentant de 75 à 80% des indemnités perçues par ses collègues mâles.

Bref, je crois que vous avez pigé. Pour résumer mon propos en m’aidant de la formule employée par un célèbre charpentier juif de Galilée vers l’an 30 de notre ère : «il est plus facile pour une armada de néologismes hideux de faire leur trou la langue française que pour une seule femme d’être payée autant qu’un homme en 2012». Dans le cas, peu probable, mais on ne sait jamais, où certains d’entre vous auraient séché trop de cours de caté («faire catéchisme buissonnier», ça se dit ?), ou pis encore, si jamais vous êtes un mangeur de viande halal, un égorgeur de moutons dans votre baignoire de Villemomble et un exciseur de petites filles, il est tout à fait possible que vous soyez peu au fait des meilleurs soundbites des gourous hébreux du temps de l’empereur Auguste, alors pour vous voici la citation d’origine.

En Allemagne, pays réputé progressiste, le problème du féminin des noms de professions ne se pose pas le moins du monde : il suffit d’ajouter le suffixe -in à un mot (et parfois d’enjoliver la racine du mot avec un joli umlaut) pour en créer la forme féminine. Ainsi, Richter (juge) devient Richterin au féminin, Arzt (médecin) se transforme aisément en Ärztin, Künstler (artiste) en Künstlerin, Ingenieur devient logiquement Ingenieurin, et ainsi de suite, si on zappe les exceptions à la règle.

Dès lors, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, pour la femme teutonne intégrée au marché du travail par le titre idoine et dûment féminisé, n’est-il pas ? Mouahaha, la bonne blague. À l’occasion du Weltfrauentag, le verdict de ces enquêtes publiées aujourd’hui dans la presse est sans appel : avec une différence de salaire atteignant 22% en défaveur des femmes à qualifications égales, l’Allemagne est championne d’Europe de la discrimination salariale contre les gonzesses le sexe faible la gent féminine, selon la dernière étude de l’OCDE, suivie de la Tchéquie et des Pays-Bas, deux autres pays qui cachaient bien leur jeu d’enfer machiste et misogyne, dites donc. L’écart moyen dans les 34 pays de l’OCDE n’est «que» de 16%…

Alors voilà, tandis que je m’amuse à vous pondre un billet aux tournures ampoulées, où je cite abondamment mes confrères Molière, Jésus-Christ et les crânes d’œuf anonymes de l’OCDE (en toute modestie), certains font passer le même message, mais de manière nettement plus percutante, et en seulement quatre mots, comme sur cette petite affiche discrète que j’ai vue hier soir à un arrêt de tram sur la Danziger Strasse, à Prenzlauer Berg.

 

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J’ai trouvé cette illustration très concrète du terme «phallocrate» particulièrement brillante, et n’ai pu m’empêcher de la partager avec vous, alors que je n’avais pas du tout prévu de parler du Frauentag cette année.

Quoi qu’il en soit, l’occasion fait le larron, alors je souhaite bon courage et une très belle Journée de la femme à toutes les Vahinés sous-payées, qu’elles lisent ce blog ou non ! Évidemment, si elles ne le lisent pas, ça va être difficile de les toucher avec mes gentils vœux, mais bon, vous pouvez aussi faire tourner…

Allez, tchô.

Votre dévoué chroniqueur.

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Commentaires

serge
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bem oui, tout ça au nom aussi de la parité et du féminisme, non?
brillant...

Berliniquais
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Merci :-)
Eh oui le combat pour la parité est une tâche de longue haleine!
Bonne fin de semaine.