Jour de marché à Foyal
Depuis mon enfance, à chaque fois que j’ai accompagné ma mère au marché le samedi, la petite marchande de “légumes pays” était là, toujours gaie, toujours un mot gentil à la bouche pour nous accueillir, et aussi loin que remontent nos souvenirs, déjà fort âgée. «Eh bé, c’est toi qui est là avec ton fils ? Aïe bon Dieu, mon cœur est tellement contente [sic] de te voir», nous dit-elle aujourd’hui, dans le français fleuri et approximatif des «gens longtemps», dont nous avons ri plus d’une fois lors de nos déjeuners en famille. Ses gestes sont peut-être un peu plus lents qu’avant, mais ses petits yeux gris-bruns, profondément logés dans leurs antiques orbites, sont toujours aussi pétillants, et, à vrai dire, c’est surtout pour saluer celle que j’appelle respectueusement Madame Mathusaline, que je continue à venir le samedi matin avec ma mère, une ou deux fois l’an, avant que… vous savez… avant que, fatalement… oui, c’est dur à dire… avant que… avant qu’elle ne soit emmenée par des extra-terrestres sur la planète Antarès pour rejoindre les autres vieux du film Cocoon qui pètent la forme autant qu’elle.
Mais cette fois, pour mon premier séjour antillais en période d’hivernage depuis très longtemps, je redécouvre avec joie l’abondance des fruits et légumes tropicaux qui poussent sur notre terre fertile à la végétation luxuriante. Bananes de toutes sortes, mangues et « mangots », avocats, goyaves et les « abricots pays », de la taille d’un ballon de hand-ball. J’avais jusqu’à oublié l’existence des « quénettes », ces petits fruits sucrés dont l’écorce verte renferme un énorme noyau indigeste recouvert d’une trop mince couche de chair couleur saumon et très sucrée.
«Bonjour Madame.
– Bonjour ma chérie.
– C’est combien le kilo de concombres ?
– C’est deu-euwo, doudou.
– Deu-euwo ? Tout ça ?!
– Mais oui ma fille, mais ils sont bons tellement. Et puis frais ! Hier je les ai récoltés. Regarde comme ils sont beaux, ils ont une belle manière.
– Bon d’accord, donne-moi ces deux-là alors. Et les ignames, tu me les donnes à combien ?
– Twoi-euwo.
– Ah non, twoi-euwo c’est un peu cher quand même.
– Ah, ma fille, avec le mauvais temps, c’est raide hein, tu sais.
– Oui je sais.
– La semaine prochaine si-Dieu-veut, j’en aurai de plus belles, chérie.
– D’accord. Bon je dois y aller. Bonne journée.
– À samedi si-Dieu-veut !»
Malgré l’heure matinale, la chaleur est abrutissante. Le soleil darde ses rayons sur les marchand(e)s et les client(e)s avides de la moindre parcelle d’ombre. Soudain, un nuage gris passe, et il se met à pleuvoir. La pluie tombe aussi drue que les rayons du soleil l’étaient il y a quelques minutes. Sur le marché, on se réjouit de ce providentiel intermède humide qui vient rafraîchir l’atmosphère de quelques pouillèmes de degrés.
Pour me remercier d’avoir été gentil et de ne pas l’avoir trop tourmentée avec mon appareil photo, Mamie Suzanne me donne un avocat bien mûr avant que nous ne prenions congé. C’est sympa, mais en fait il est déjà tellement ramolli qu’il en était devenu pratiquement invendable sans doute. Mais c’est l’intention qui compte, n’est-ce pas. Moi aussi je suis contre le gaspillage. Elle nous voit partir avec un certain soulagement dans le regard.
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