Beauté de Brrrrrrrlin : Plaisir inéglaglable

3 février 2013

Beauté de Brrrrrrrlin : Plaisir inéglaglable

Amis Berlinois, vous avez un peu froid ? Sans doute un peu moins maintenant, certes, mais quand même, juste pour me faire plaisir on va faire semblant de croire que c’est encore la Sibérie dehors… Bref, voici sans plus attendre une vingtaine de bonnes raisons de surkiffer l’hiver à Berlin. Si après ça vous n’êtes pas convertis aux vertus de l’âge de glace, je ne peux rien pour vous…

Lever de soleil sur la Spree entre les quartiers berlinois de Friedrichshain et Kreuzberg, en janvier 2012

0°C –– Parce que ces nuits qui n’en finissent plus, ces journées ridiculement courtes où il fait un temps à ne pas mettre un Martiniquais dehors, c’est l’excuse parfaite pour faire ma loque tout le weekend durant. Pourquoi diable franchirais-je le seuil de mon appartement douillet ? Pour avoir le loisir d’admirer la riche palette de gris dans le ciel ? Pour écouter le concert de toux et d’éternuements et attraper la Schweinegrippe (la Grippe A en teuton) à mon tour ? Pour déraper sur les trottoirs ? Pour bousiller mes semelles sur ces ridicules gravillons anti-glisse ? L’hiver, c’est le moment où je me fais volontiers casanier et profite à fond de mon petit chez-moi.

Le Landwehrkanal à proximité de Potsdamer Platz

-1°C –– Parce que de temps à autre, il faut bien sortir malgré tout. Mais ce temps que l’on ne peut pas passer à glandouiller aux terrasses des cafés ou au Biergarten, on l’occupe plus intelligemment, en fréquentant assidûment les musées, les cinés et les salles de concert ! L’hiver, c’est le temps de la Kultur par excellence.

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-2°C –– Parce qu’une fois que la température remonte à un petit -2°C, voire franchit à nouveau la barre magique du zéro après une excursion prolongée dans les négatives à deux chiffres, eh bien on en arrive, figurez-vous, à se réjouir qu’il fasse un temps aussi clément. Le jour où, par -2°C, vous trouvez qu’il fait bon dehors, c’est que vous êtes devenus vous aussi un vrai Berlinois. Tout est relatif. CQFD.

La Spree le 2 février 2012, par -14°C

-3°C –– Parce que les touristes vont se faire pendre ailleurs. Qu’il est bon de se retrouver peinards entre Berlinois de souche ! Les rues de mon quartier de Friedrichshain sont si calmes, sans les hordes d’EasyJet-Setters alcooliques juvéniles, qu’on peut enfin se laisser bercer par le croassement mélodieux des corbeaux, d’habitude noyé dans la bruyante cohue de vacanciers. Que du bonheur. Je ne sais pas vraiment de quoi ils ont peur, nos amis les touristes, mais à part durant la quinzaine de la Berlinale, ils sont tout simplement aux abonnés absents. Ils nous manqueraient presque, dans le fond. Mais non en fait.

À Treptow, le bout de canal où les pontons précaires du Klub der Visionäre font face au café Freischwimmer est tout simplement méconnaissable.
-4°C –– Parce que pendant cette semaine de début février durant laquelle les radicaux de gauche «commémorent» dignement l’expulsion des locataires du squat Liebig 14, le quadrillage policier de Friedrichshain est si imposant que mon quartier berlinois devient subitement l’endroit le plus sûr au monde. Qu’il est rassurant, ce sentiment de sécurité totale ! En comparaison, même le quartier des ministères à Pyongyang est ravalé au rang de coupe-gorge putride et mal famé.
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-5°C –– Parce qu’avoir un balcon, c’est bien, mais avoir un immense congélo d’appoint, c’est bien mieux. Sinon, je la mettrais où, cette carcasse de renne surgelée qu’on vient de m’envoyer direct de Laponie, hein ? Dans le petit petit compartiment à glace riquiqui  de mon réfrigérateur où j’ai à peine assez de place pour deux steaks hachés ?

Un matin de janvier 2013 depuis un balcon de Friedrichshain

-6°C –– Parce que, comme je n’ai aucun scrupule à faire ma loque pendant la journée, alors le soir venu, je n’ai aucun état d’âme à sortir jusqu’au bout de la nuit ! Et tant pis pour la journée qui suit, de toute façon il fait trop froid pour qu’il soit intéressant d’en profiter, alors autant hiberner comme une marmotte… Et la boucle est bouclée.

Autre haut lieu de la nuit berlinoise victime du gel : le ponton de la discothèque Watergate, à Kreuzberg, où en été il fait bon se rafraîchir entre deux danses endiablées
Das Badeschiff (« Le Bateau des Bains »), piscine flottante sur la Spree en été et repaire de jeunes beaux qui aiment se montrer, hiberne tristement sous forme de sauna surnageant sur les glaces…

-7°C –– Parce que c’est sacrément sympa de vivre comme à la station de sports d’hiver : le bruit de la neige qui craque sous nos semelles, sa blancheur éblouissante au soleil, l’odeur du vin chaud qui se répand sur toutes les esplanades.. Berlin de décembre à février, n’ayons pas peur des mots, c’est le domaine des Trois Vallées. Mais si, mais si.

Sorties en famille sur la Rummelsburger Bucht gelée, une baie de la Spree

-8°C –– Parce qu’une petite grippe par ci, un gros rhume par là, c’est le bon plan pour sécher deux ou trois jours de bureau de temps en temps durant la mauvaise saison. Et ceux d’entre vous qui ont pratiqué les médecins allemands, sauront que si ces derniers sont très parcimonieux avec les prescriptions médicales («L’ibuprofène, prenez-en uniquement en cas de fièvre supérieure à 39 degrés, et vous pourrez commencer les antibiotiques au bout d’une minute d’arrêt cardiaque, attention, surtout pas avant»), en revanche, ils n’y vont pas de main morte pour distribuer les arrêts maladie. Ce n’est pas moi qui m’en plaindrai.

Landwehrkanal, dans le quartier de Neukölln : des petits malins avaient allumé un feu de camp sur la glace. Il n’est même pas passé à travers… C’est dire à quelle point la couche est épaisse.

-9°C –– Parce que j’aime bien jouer à repérer, dans le S-Bahn, les nombreux Berlinois et Berlinoises qui ont abusé des séances de bronzage en salle d’UV, reconnaissables à cet affreux teint orangé qu’ils arborent d’autant plus de fierté que leur complexion s’éloigne de toute couleur de peau prévue par la nature. Mais que fait la police ?

Sortie à vélo sur les glaces de l’Urbanhafen, à Kreuzberg

-10°C –– Parce qu’il n’y a plus personne sur les pistes cyclables, à part un dernier carré d’irréductibles dont votre dévoué serviteur fait partie. Et en particulier aucun de ces vélos de location «Fat Tire» ou «Berlin on Bike» qui essaiment habituellement en groupes de quinze et bloquent sans gêne la circulation. Et ça c’est le pied.

Promenade du soir sur la Rummelsburger Bucht gelée, en janvier 2013

-11°C –– Parce qu’il n’y a pas que Jésus qui peut marcher sur l’eau ! En fait, c’est affreusement banal à Berlin, et c’est ici que le Nazaréen a dû perfectionner sa technique. Et ces boulets d’apôtres qui n’ont rien capté à la supercherie : ils se sont bien fait rouler dans la farine !

Bouée de sauvetage sur le Landwehrkanal. En hiver, le risque de noyade dans les voies d’eau de la capitale allemande est quelque peu réduit.

-12°C –– Parce que le froid abolit temporairement les diktats de la mode ! Les gros et les maigres, les jeunes et les vieux, les fashion et les has been : toutes les tailles et tous les styles s’uniformisent à mesure que les couches de vêtement s’empilent et recouvrent les derniers centimètres carrés de peau. Même les hipsters les plus excentriques deviennent difficilement reconnaissables sous leur quatrième manteau. Ce phénomène n’a d’ailleurs pas échappé à l’œil observateur du Postillon. Alors sur ce point précis, bien sûr, vous vous doutez bien que je suis un jeune homme à l’élégance exquise et que je suis à la pointe de la tendance, et vous avez bien raison. Je me ris des diktats de la mode comme de ma première Rolex, puisque c’est moi-même qui les dikte au reste de l’humanité. Néanmoins, je vous confie que j’apprécie bien cette saison du laisser-aller vestimentaire, où, quand souffle un vent de Sibérie sur les rives de la Spree, on privilégie le confort et le maintien des fonctions vitales plutôt que de sacrifier aux habituelles exigences purement esthétiques. À moins d’être très très bête bien sûr. C’est reposant de s’autoriser à négliger son look, de temps en temps.

Décembre 2012 : le Tempodrom se fond mieux dans cet environnement.

-13°C –– Parce que, à propos de mode, j’ai ne sors plus sans me coiffer d’un lapin mort ; c’est le comble du chic. Ce couvre-chef, en peau de lapin véritable, sent le lapin (heureusement, il ne sent pas particulièrement le lapin mort, juste le lapin tout court, sinon ce serait difficile…). Dans les rues, les chiens se retournent sur mon passage et reniflent dans ma direction avec excitation. Et ce renard affamé qui m’a pris en chasse l’autre jour au Treptower Park ? Flippant. Toujours est-il que cette toque en fourrure de lapin boréal me tient diablement chaud et c’est tout ce qu’il me faut. Et puis il est tellement doux, mon lapin mort, que je sens déjà que je suis en train de m’y attacher, et avec les températures qui remontent ça va être difficile de le remiser au placard.

Coiffé de mon lapin mort.

-14°C –– Parce qu’en hiver, il y a la Berlinale ! J’entends déjà le concert de protestations : ben voyons, la Berlinale a lieu en février comme elle pourrait très bien se dérouler en mai, comme le festival de Cannes. L’hiver n’y est donc pour rien ! Je n’ai rien à répondre à ce genre d’argument massue, mais en même temps, on s’en fiche un peu non ? En hiver, il y a la Berlinale, point.

Janvier 2013 sur la Rummelsburger Bucht gelée: ah, il n’y a pas que moi qui débute au patin à glace !

-15°C –– Parce que je ne me lasse pas d’admirer la Spree gelée ! Il faut me comprendre : j’ai découvert la neige à quinze ans, alors le spectacle d’une rivière qui gèle au beau milieu d’une capitale européenne me fascine à l’infini.


-16°C –– Parce que grâce aux intenses gelées, j’ai réussi à compter mes poils de nez : 129 dans la narine droite et 161 dans la narine gauche. Maintenant j’aimerais comprendre pourquoi il y a un tel différentiel entre les deux narines. Mystère et boule de gomme…

L’Oberbaumbrücke pris dans les glaces un matin de février 2012

-17°C –– Parce que j’ai ajouté le patin à glace à la liste des sports auxquels je me suis initié dans la capitale teutonne.

Promenade ensoleillée sur la Rummelsburger Bucht

-18°C –– Parce qu’une fois dans ma vie, j’ai apporté à ma mère, qui gémissait et se lamentait au téléphone, tout le réconfort dont elle avait besoin, en lui tenant à peu près ce langage :

Mère : «Et puis en plus de toutes ces histoires, tu sais, il fait tellement froid en ce moment! Ah, je te dis, chaque nuit je souffre !»
Moi : «Ah oui ? Il fait froid ?»
Mère : «Oh, oui, je te dis. Tout le monde a froid. Même ton papa. Cette nuit il a fait 18 degrés !»
Moi : «18 degrés Maman ? Bon c’est vrai que c’est vraiment très froid, mais tu sais, en ce moment-même il fait moins dix-huit ici… j’aimerais bien grelotter avec vous par 18 degrés là, tout de suite !»
Mère : «Moins 18 ?? Mon Dieu, je n’arrive même pas à imaginer quel effet ça fait.»
Moi : «Très très-très froid. Comme quand il fait 18 degrés, mais en beaucoup plus froid !»
Mère : «J’ai compris ce que tu veux me dire… c’est bon j’arrête de me plaindre! Finalement on n’est pas trop mal ici…»
Moi : «Ah, eh bien tu vois !»

Et ça, ça vaut toutes les nuits à -18°C du monde… bon peut-être pas toutes non plus !
Allô Maman, bobo !
Deux utilisations possibles du Thielenbrücke, qui enjambe le Landwehrkanal entre Kreuzberg et Neukölln

-19°C –– Parce que l’hiver berlinois est la seule saison qui soit suivie du printemps… L’été berlinois, pour tout le bien qu’on en dise, n’est jamais que le précurseur de l’automne. CQFD !

La Spree vue de Jannowitzbrücke, à Berlin-Mitte

-20°C –– Parce que, quoi qu’il arrive, qu’on l’aime ou pas, l’hiver berlinois revient chaque année, et s’installe pendant deux bons mois. Alors autant s’efforcer de voir le bon côté des choses !

La Spree entre la presqu’île de Stralau et le Treptower Park :  les oiseaux se réfugient dans le dernier petit bassin libre de glace.

Et vous, chers Lecteurs, vous aussi vous adorez lhiver, nest-ce pas ? Allez, dites-nous un peu pour quelles raisons !

Le bateau « Heimat Berlin » figé dans les glaces de la Rummelsburger Bucht, en janvier 2010
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Commentaires

Jeannot
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Personnellement, je ne suis pas un très grand fan du froid et de la neige. Mais votre article et vos photos me semblent assez motivants pour tenter de rester à Berlin pendant un week-end d'hiver :)

Jeannot B. Artisan

Blog favori : Neodyssée

Berliniquais
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Merci pour votre visite, Jeannot :-)

Alors disons que Berlin en hiver, après une belle chute de neige, et quand le soleil revient, c'est joli. Mais cette conjonction de facteurs favorables ne se présente que quelques semaines par an! Le reste du temps, visiter Berlin en hiver relève du masochisme!