Athlètes volatilisés : la fuite des costauds

Article : Athlètes volatilisés : la fuite des costauds
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19 septembre 2013

Athlètes volatilisés : la fuite des costauds

Au terme d’une semaine de compétitions sportives et de festivités culturelles, les VIIe Jeux de la Francophonie se sont achevés dimanche dernier, à Nice.

Outre un très inhabituel palmarès largement dominé, pour changer, par une France pourtant coutumière des profondeurs des tableaux des médailles des grands championnats internationaux (on sait donc enfin à quoi servent les Jeux de la Francophonie), l’événement a été marqué par une série de « fuites » ou, plus sobrement, de « disparitions » d’athlètes africains qui, ensorcelés par le chant des cigales sirènes de l’opulente Europe, ont profité de leur séjour en Côte d’Azur pour s’évanouir dans le maquis. Combien sont-ils exactement, à s’être volatilisés pendant la compétition ? Vingt-six ? « Une trentaine » ? Quarante-huit ? Les chiffres s’entrechoquent. Et les commentaires aussi, comme le relate en détail la blogueuse Sinath.

La délégation de la RDC lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux de la Francophonie, via AFP
La délégation de la République démocratique du Congo lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux de la Francophonie, via AFP

À qui la faute ? Chacun y va de son diagnostic. Consternation face à « l’égoïsme » ou à la « naïveté » de ces sportifs qui ont pris la clé des champs de lavande après avoir touché leurs 1000 € de prime. Dépôt de plainte pour « kidnapping » de la délégation congolaise. Dénonciation véhémente de l’injustice du système des visas Schengen qui fait de l’Europe une terre inaccessible et quasi mythique aux yeux des jeunes Africains, prêts à tout pour conquérir cette imprenable forteresse. Critiques du « manque de fermeté » des fédérations sportives africaines, qui auraient pu éviter ces départs. Condamnation de la déliquescence de ces États-repoussoirs pour leur jeunesse prometteuse… Tous les points de vue ont été entendus sur cette saignée de sportifs subsahariens qui a fait couler beaucoup d’encre sur le continent noir et au-delà.

Je vois dans cette émigration massive de jeunes athlètes pleins d’avenir la manifestation de leur rêve de liberté et de leur espoir (appelé peut-être à être déçu) d’accomplir ce qui leur semble impossible dans leur pays d’origine. Faut-il vraiment s’en étonner ? Leur en vouloir ? Le phénomène, pour choquant et spectaculaire qu’il soit, n’a d’ailleurs rien de nouveau et ne se limite pas à l’Afrique.

Ainsi, tout au long de ses quatre décennies d’existence, l’ancienne Allemagne de l’Est a été confrontée elle aussi à la fuite de ses costauds, qu’elle tentait pourtant d’empêcher par tous les moyens. D’après le Ministère est-allemand pour la Sûreté de l’État (Ministerium für Staatssicherheit), plus connu sous le nom de Stasi, ce ne sont pas moins de 615 athlètes originaires de la RDA qui se sont réfugiés à l’Ouest en 40 ans, entre 1949 et 1989 ! Soit une moyenne de 15,4 athlètes par an (je tiens à ma décimale). Les chiffres exacts sont probablement bien plus élevés, d’ailleurs, selon certains historiens. Cet exode des jeunes champions a représenté une véritable hémorragie pour la petite nation socialiste de 16 millions d’habitants qui, rappelez-vous, investissait énormément dans le sport à des fins de propagande, choyait (et dopait allègrement) ses sportifs de haut niveau et récoltait des moissons de médailles dans toutes les compétitions internationales. Comme à Nice la semaine dernière, ce sont parfois des équipes entières qui ont pris la tangente, à l’instar du club de football SG Dresden-Friedrichstadt, vice-champion de RDA en 1950, qui s’éclipsa à l’Ouest comme un seul homme, tout juste un mois après la fin de la première saison de foot de l’histoire de l’Allemagne de l’Est.

Un nageur est-allemand, via Deutsche Welle. Le papillon prendra-t-il son envol vers la liberté?
Un nageur est-allemand, via Deutsche Welle. Le papillon prendra-t-il son envol vers la liberté ?

L’une des anecdotes les plus spectaculaires de défection à l’Ouest de sportifs est-allemands est sans doute celle du nageur Axel Mitbauer, en août 1969. À 19 ans, le jeune athlète déjà double champion de RDA aux 400 mètres nage libre, était pourtant promis à un bel avenir. Mais, accusé par la Stasi d’avoir sympathisé avec des athlètes ouest-allemands et d’avoir envisagé la fuite lors d’une compétition internationale à Budapest en 1968, le jeune homme subit de plein fouet la répression du régime puis la descente aux enfers : emprisonnement en cellule d’isolement pendant plusieurs semaines dans la prison de Hohenschönhausen de sinistre mémoire (immortalisée dans le film La Vie des autres), interminables séances d’interrogation et de torture, puis interdiction à vie de pratiquer la natation. Les perspectives sont alors bien sombres pour le jeune homme, exclu de l’université et désormais sous surveillance étroite de la police secrète. Pendant l’été 1969, le jeune champion réussit toutefois le pari impossible : après être parvenu à semer ses chaperons de la Stasi en sautant d’un train en marche, il gagna la côte et, la nuit tombée, plongea dans l’eau fraîche de la mer Baltique, le corps enduit de vaseline pour retarder l’hypothermie. Il parcourut environ 25 kilomètres à la nage, seul et dans l’obscurité totale, et finit par atteindre une bouée lumineuse dans la baie de Lübeck, où il s’agrippa plusieurs heures jusqu’au matin avant d’être enfin secouru par un ferry, après avoir passé environ dix heures dans l’eau froide. Le jeune homme a ainsi atteint, avec un indéniable panache, son objectif de fuir la RDA et de se réfugier à l’Ouest !

Axel Mitbauer en 2009 à Karlsruhe, via NZZ
Axel Mitbauer en 2009 à Karlsruhe, via NZZ

Si sa carrière ultérieure en RFA ne fut pas aussi exceptionnelle que ce qu’il avait peut-être espéré, Axel Mitbauer put au moins continuer à exercer sa passion, à étudier et, à 63 ans, il entraîne toujours des champions de natation à Karlsruhe.

Même si le contexte politique et économique de la RDC de 2013 n’a rien à voir avec celui de cette autre République démocratique, l’allemande, de 1969, voilà à quoi me font penser ces désertions massives de basketteuses congolaises, de lutteurs ivoiriens, de cyclistes djiboutiens et de quelques autres la semaine passée à Nice. Je ne peux pas approuver que l’on transgresse les lois de ma République, mais qui suis-je pour condamner ces jeunes pleins de talent et d’ambition, persuadés que leur chance est ailleurs ? Ils croient qu’une vie meilleure les attend en Europe, et sont prêts à tout risquer pour se faire une place au soleil, comme d’autres avant eux. La bonne nouvelle pour nos fuyards, c’est que le soleil, précisément, brille ô combien plus généreusement à Nice qu’à Lübeck. C’est déjà ça de pris.

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Commentaires

Aphtal CISSE
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Super article...

Berliniquais
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Merci Aphtal :-)

serge
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je cours le risque d'être naif, mais je crois que le principal responsable c'est bien le gouvernement congolais qui est incapable de donner des conditions de bien être minimales a sa population. tout le monde a le droit de rechercher le bonheur, et ce sont pas des frontières imaginaires qui limeteront la quete, d'autant que lorsqu'il s'agit de "voler" les richesses de l'Afrique l'Occident ne tient pas compte des ces frontières (voir le Kivu).
Après, sur les lois françaises, je resterai sur cette phrase d'Alain Tourraine: "Les droits de l'homme sont au dessus de toutes les lois".

Bien à toi... :)

Berliniquais
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Je suis content que tu aies réagi en tant que Congolais. Je suis d'accord avec toi, mais je ne suis jamais allé au Congo et j'ai voulu éviter de me poser comme l'Occidental qui juge un pays qu'il n'a jamais visité avec la série de préjugés classiques sur l'Afrique.

Moi aussi je comprends très bien ces fuyards après tout. Quel "bonheur" les attend au retour? Pour moi c'est normal et compréhensible qu'ils tentent leur chance. Il y a 30 ans, les échappés de la RDA étaient bien accueillis à l'Ouest, car on comprenait aussi leur désir d'une vie meilleure. Merci pour cette citation avec laquelle je suis à 100% d'accord, et bien à toi :-)