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    Ich bin ein Berlinoir
      Article : Aux bonheurs de Frankfurt (1)
      Allemagne
      3
      27 avril 2014

      Aux bonheurs de Frankfurt (1)

      „Worauf ich mich heute freue“, c’est la petite rubrique quotidienne pour laquelle j’arpente au petit bonheur le centre-ville de Francfort-sur-l’Oder (*), nez au vent, appareil photo en bandoulière, calepin et stylo en poche. En langage chrétien, cet intitulé sibyllin signifie à peu près «Ce qui me fait plaisir aujourd’hui» ou «Pourquoi je suis content aujourd’hui».

      Yvonne se réjouit de ses retrouvailles avec sa fille à Berlin.
      Yvonne se réjouit de ses retrouvailles avec sa fille à Berlin.

      Tout est dit dans l’énoncé : il s’agit d’aller vaillamment à la rencontre de parfaits inconnus dans la rue, de les aborder, de les apprivoiser voire de les charmer, de les photographier, de leur faire avouer à l’indiscret journaliste qui les presse de questions leur nom, leur prénom, leur âge, leur lieu de résidence, et surtout, bien entendu, de les prier de révéler leur(s) motif(s) de satisfaction de la journée, en quelques phrases bien amenées. Rien que ça. Le tout sera retranscrit en bon allemand par leur mystérieux interlocuteur qui prétend travailler pour le journal local malgré sa grammaire calamiteuse et son fort accent qui est tout sauf du cru, puis imprimé dans le journal du lendemain. Et voilà. Un quidam de plus aura droit à son portrait dans le canard de la ville, assorti d’un petit encart de 70 mots où il annonce urbi et orbi… (enfin, surtout urbi tout de même, parce que vous seriez bien en peine de mettre la main sur le Frankfurter Stadtbote à plus de trois lieues du clocher de la Marienkirche, donc pour orbi c’est vraiment pas gagné. Mais reprenons notre propos.) Le quidam, disions-nous donc, annonce urbi et orbi qu’il tressaille d’allégresse à l’idée d’aller prendre un café avec sa cousine Dagmar avant de griller quelques saucisses avec son voisin Hildebrand. Merveille du journalisme local !

      Trois jours par semaine, c’est moi qui m’y colle. Armé du Reflex de la Lokalredaktion, un sacré bestiau à plusieurs milliers d’euros qui me fait pâlir de jalousie, et muni d’un exemplaire du Stadtbote à la page «Pourquoi je suis vachement content» pour convaincre les récalcitrants, je quitte les bureaux du journal, le coeur serré et plein d’appréhension, les jambes lourdes, mais l’oeil déjà à l’affut. Combien de «nein, Danke» essuierai-je aujourd’hui avant de dénicher la perle rare ? Deux ? Cinq ? Dix-huit ? Quarante-douze ? Faire la Freude (la «joie») du jour, c’est une mission mi-figue mi-raisin, un boulot ingrat mais qui réserve parfois de belles surprises, le privilège suprême des stagiaires et des apprentis au journal. J’adore et je déteste. Je me réjouis des rencontres à venir et redoute de rentrer bredouille. Je me délecte de la promenade dans les rues de Francfort tout autant que je crains la lassitude des refus répétés.

      Jusqu’à présent, il y a toujours eu un happy end : je n’ai pas encore dû rentrer à la rédac’ les mains vides, même si parfois je suis passé à deux doigts du désastre et qu’il m’est arrivé plus d’une fois d’avoir envie de tout balancer dans l’Oder et de sauter dans le premier train pour Berlin (ou inversement). Et lentement mais sûrement, ma collection de sourires rencontrés au détour d’une aire de jeu ou d’un marché en plein air, de visages radieux et de petits bonheurs insignifiants s’étoffe. Il était temps de rendre hommage à ces bonnes gens de Frankfurt-an-der-Oder qui non seulement répandent courageusement un peu de joie dans leur ville aux dépens de leur anonymat, mais en plus, me tirent invariablement du pétrin !

      Silvia et Uwe

      Il faisait beau quand j’ai croisé Silvia et Uwe : c’était l’une des premières belles journées de printemps. Ils souriaient, et je suis venu à leur rencontre. Bien m’en a pris. C’était ma première Freude, et j’en avais déjà plein les bottes. Combien de refus avais-je déjà essuyés ? Quatre ? Huit ? Pas beaucoup plus, certes, mais c’était assez pour ébranler le peu de confiance que j’avais eu en quittant la rédaction.

      Silvia et Uwe, devant la mairie de Francfort, se réjouissent de la visite de leurs enfants.
      Silvia et Uwe, rencontrés devant l’hôtel de ville de Francfort, se réjouissent de la visite de leurs enfants.

      Ils ont à peine la cinquantaine, et déjà trois enfants étudiants qui ont pris leur envol loin du cocon familial. Mais aujourd’hui, c’est vendredi. Silvia et Uwe se réjouissent de la visite de leurs enfants pour le week-end. Ils iront pique-niquer ensemble, et peut-être même faire un tour à la plage à Helenesee, le grand lac qui fait le bonheur des habitants de la région. Et ce sympathique couple de Frankfurtois pur jus a fait mon bonheur à moi, c’est sûr. Merci, Uwe et Silvia !

      Alina et sa grand-mère

      Quand j’ai demandé sans façon à la dame assise sur un banc si elle souhaitait figurer dans le journal pour la Freude du lendemain, elle a eu un instant d’hésitation et son front s’est plissé. La chose semblait mal engagée, et j’avais déjà une bonne quinzaine de tentatives infructueuses derrière moi. Allais-je devoir me jeter à ses pieds et la supplier de dire oui tout en essuyant mes sanglots dans ses chaussettes de contention? Soudain, une petite fille qui jouait à proximité s’est précipitée vers nous. « Moi ! Moi ! Moi ! Je peux être dans le journal, Mamie?»

      Alina, 9 ans, se réjouit de pouvoir jouer dans le jardin de son camarade de classe après l’école et ne compte pas faire ses devoirs.
      Alina, 9 ans, se réjouit de pouvoir jouer dans le jardin chez son camarade de classe après l’école et ne compte pas faire ses devoirs.

      Alina est au cours élémentaire, et après l’école elle ira au karaté sans grand enthousiasme. Mais elle a hâte d’aller faire de la balançoire et du trampoline chez un camarade de classe. Et un certain jour d’avril 2014, elle a mis fin à un interminable calvaire que je subissais depuis deux heures. Merci Alina !

      Adriano

      J’ai rencontré Adriano entre une douzaine de chameaux des steppes asiatiques, deux lamas, des chèvres africaines, d’ombrageux purs-sangs de race frisonne et un poney à peine plus haut qu’un labrador. Et il faisait un froid de canard. Contrairement à ce qu’il y paraît, Adriano n’est pas matelot sur l’arche de Noé, mais dresseur dans un cirque. Nuance. Il a 24 ans, il a grandi avec le cirque, à sillonner les routes du nord de l’Allemagne, du Danemark et des Pays-Bas, et s’est spécialisé dans le dressage des chameaux option chevaux frisons, comme d’autres de son âge passaient un bac S spécialité SVT.

      En fait, je ne sais pas de quoi se réjouit Adriano. Mais dans le fond ce n’est pas très grave.
      En fait, je ne sais pas de quoi se réjouit Adriano. Mais dans le fond ce n’est pas très grave.

      J’avais rendez-vous avec le père d’Adriano, le directeur du cirque, pour un reportage. Mais ce monsieur m’a posé un lapin (bien qu’il n’en ait pas dans sa ménagerie). Heureusement, Adriano était là, et m’a sauvé la mise. J’avais un mal de chien (et hop, encore un animal) à comprendre son accent de forain du Mecklembourg, mais il s’est donné du mal et je lui en suis reconnaissant pour l’éternité. Grâce à lui, j’ai pu terminer mon article sur le cirque. Merci, Adriano.

      À ma grande déception, il n’y avait pas de girafon dans les enclos du «Circus Werona». Dommage. Les girafons, ça a la cote en ce moment.

      Horst

      Par rapport à Alina, Horst se situe à l’autre bout de la pyramide des âges. Je suis bien impertinent de l’appeler tranquillement par son prénom, comme si on avait gardé les cochons ensemble. Mais tant pis. Horst est né en 1931, il avait 14 ans à la fin de la guerre, et presque mon âge quand les Soviétiques ont construit le Mur de Berlin. En cette riante journée d’avril où je l’ai croisé alors que je venais tout juste de quitter les bureaux du journal, il était accompagné de deux jeunes gens, et tous trois riaient de bon coeur. J’y ai vu un heureux présage, et n’ai pas hésité à interrompre grossièrement leur joyeuse conversation. Horst a d’abord décliné ma proposition, avant de se raviser et de me héler avec ses deux comparses, alors que j’étais déjà au bout de la rue.

      Horst se réjouit de son 83ème anniversaire et de la visite de son fils et de sa petite-fille.
      Horst se réjouit de son 83e anniversaire et de la visite de son fils et de sa petite-fille, qui habitent à l’autre bout du pays.

      « Je fête mon anniversaire dimanche, et demain ma petite-fille vient me rendre visite. Je suis ravi !» Horst et ses deux jeunes compagnons ont bien insisté sur les 700 kilomètres qui le séparent de sa petite Stella. Ils ont prévu d’aller visiter le camp de concentration de Sachsenhausen, près de Berlin, puis Horst soufflera dignement ses 83 bougies avec toute la famille dans un jardin ensoleillé à Oranienburg. Drôle d’idée que d’aller visiter un camp de concentration pour son anniversaire, mais après tout, pourquoi pas. En Allemagne, on ne badine pas avec le devoir de mémoire.

      Un jour, peut-être, moi aussi j’aurai 83 ans, et je répondrai aux questions d’un jeune journaliste né un demi-siècle après moi dans une contrée exotique. Et j’aurai assurément une pensée pour Horst. Vielen Dank, Horst !

      Nicole

      Nicole, c’est mon plus grand regret, mon plus grand désastre. Ce jour-là, je traînais mes savates sans succès depuis près d’une heure dans les rues de la ville, et j’avais le moral dans les chaussettes (savate et chaussettes, c’est un style qui fait fureur à Frankfurt). Soudain, j’ai posé mon regard sur cette grande et belle Africaine qui avançait d’un pas pressé devant le cinéma. Bien qu’elle ait quelque peu forcé sur la crème éclaircissante, avec sa haute taille, son teint et son allure, elle détonnait dans l’environnement monochrome de cette petite ville provinciale est-allemande, où l’étranger «visible» se fait plus que rare. «Une Africaine! Il me la faut!» hurlai-je (en moi-même). Trois grandes enjambées, je la rattrape et la salue.

      Nicole s’est méfiée. Elle m’a demandé de «prouver» que j’étais journaliste, sans doute à cause de mon accent suspect. Je lui ai montré ma carte d’identité, non sans avoir laissé choir sur le trottoir tout le contenu de mon portefeuille. Alors elle s’est détendue, et nous avons continué la conversation en français, car elle est camerounaise. «Prenez une photo et inventez l’histoire que vous voulez», m’a-t-elle proposé. Bien sûr, j’ai refusé un tel pacte contraire à tous mes principes d’aspirant journaliste. Au lieu de cela, je lui ai tiré les vers du nez, patiemment.

      «Je suis contente parce que je vais m’acheter un nouveau pantalon.
      – Un pantalon ? Comme c’est intéressant ! Mais pourquoi ?
      – Parce que je vais à un concert vendredi soir à Berlin.
      – Aha ! Un concert ? Mais c’est super ça ! Quel concert ?
      – Un chanteur nigérian que j’adore. J’y vais avec mes amis africains de Berlin dans une salle à Wedding.»

      De fil en aiguille, j’avais de quoi faire un très chouette encadré sur cette chaleureuse Camerounaise installée à Francfort depuis 14 ans. Nicole était vraiment sympathique. Nous causons encore un peu, puis prenons congé l’un de l’autre. Je prends le chemin de la rédaction, heureux comme un pape le jour de sa béatification. Las ! Deux minutes après l’avoir quittée, mon sang se glace : je n’ai pas photographié Nicole !

      Je l’ai cherchée comme un possédé partout dans Frankfurt, mais elle s’était envolée. Ce jour-là, j’ai vraiment été découragé. Mais j’ai repris mon errance dans les rues, et j’ai rencontré Alina et sa grand-mère.

      Qui sait, peut-être parviendrai-je à rencontrer Nicole encore une fois avant de quitter Francfort? Cette fois, je ne manquerai pas de lui tirer le portrait et d’inventer une histoire, comme elle me l’avait suggéré.

      Vue de Frankfurt depuis l’«Oderturm» (la Tour de l’Oder), le plus haut édifice de la ville, en mars 2014. L’immeuble blanc et rouge en bas à droite est la mairie, devant laquelle j’ai photographié Silvia et Uwe. Le fleuve, l’Oder, sépare l’Allemagne de la Pologne. Sur l’autre rive, on distingue la ville polonaise de Słubice. Quelque part au milieu de ces immeubles, Nicole se terre...
      Vue de Frankfurt depuis l’«Oderturm» (la Tour de l’Oder), le plus haut édifice de la ville, en mars 2014. L’immeuble blanc et rouge en bas à droite est la mairie, devant laquelle j’ai photographié Silvia et Uwe. Le fleuve, l’Oder, sépare l’Allemagne de la Pologne. Sur l’autre rive, on distingue la ville polonaise de Słubice. Quelque part au milieu de ces immeubles, Nicole se terre…

      À suivre…

      (*) Francfort-sur-l’Oder, à ne surtout pas confondre avec la métropole financière presque homonyme située à l’autre bout du pays, est une petite ville d’Allemagne de l’Est, dans la région du Brandebourg, à 80 kilomètres à l’est de Berlin et à la frontière avec la Pologne. Le taux de chômage y est très élevé et la qualité de vie assez basse par rapport au reste de l’Allemagne. Depuis la réunification allemande, Francfort a perdu près du tiers de ses habitants. Mais le tableau n’est pas tout noir. Aujourd’hui, la ville est encore peuplée d’environ 50.000 âmes, et certains gardent le sourire.

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      Article : Des larmes de crocodile pour Marius le girafon
      Actualité
      14
      11 février 2014

      Des larmes de crocodile pour Marius le girafon

      Il y a des mots que l’on devrait employer plus souvent. « Girafon » est assurément de ceux-là. Quatre consonnes et trois voyelles, 61 points au Scrabble (et de bonnes chances d’avoir un mot compte triple), et un fabuleux potentiel de rimes riches avec des mots trop rarement usités comme carafon, paraphons, agrafons ou encore bas-de-plafond. Ou même paillasson, si vous avez un feveu sur la langue.

      Et voilà que contre toute attente, ces deux derniers jours, j’ai vu, lu et entendu le mot girafon davantage qu’au cours de mes trente-trois vingt-treize d’années passées sur cette terre peuplée d’homo sapiens un peu zinzins. Parce que dimanche, la planète horrifiée apprenait la mise à mort de Marius le girafon par ses cruels geôliers, ses garde-chiourme à l’œil torve et au rictus carnassier, j’ai nommé les gardiens du zoo de Copenhague. « Pas touche à Marius! » avait pourtant soutenu mordicus un chorus de gugusses. « Sauvons le girafon! » avaient renchéri, en un tourbillon de pétitions et de récriminations, des bataillons de couillons au diapason.

      Marius le girafon au zoo de Copenhague (AFP]
      Marius le girafon aimait bien faire des sourires à la caméra (AFP]

      Las ! Sourds à l’indignation générale, les employés du zoo ont, avec un cynisme avéré, donné à Marius, qui ne se doutait de rien, son dernier repas de pain de seigle (sa friandise préférée !), comme un condamné grille sa dernière clope avant de monter sur l’échafaud. Puis ces Judas ont promptement expédié l’attachant ongulé, d’une balle dans le crâne, au paradis des girafes, un nirvana qui doit ressembler à s’y méprendre aux savanes d’Afrique qu’il n’aura jamais connues de sa courte vie en captivité, à des milliers de kilomètres de son habitat naturel. Le tout, devant les caméras et les journalistes du monde entier, qui ont fait de cette triviale immolation d’un pauvre animal en cage, un événement planétaire. Les salauds ! « Ils » ont tué le girafon ! Juste ciel ! La girafe est morte ! Morte ! Horreur ! Marius a été bouffé par les lions ! Les lions !

      Le Danemark, apprend-on sur lapresse.ca, « produit » 30 millions de porcs par an, qui passent nécessairement par la case abattoir, tôt ou tard. J’ai du mal à me représenter une moyenne de 80 000 cochons qu’on abat chaque jour, rien qu’au Danemark, mais c’est la réalité quotidienne brute, loin des caméras, loin des journalistes. Mais là, c’est pour faire du jambon Madrange avec lequel on s’empiffrera, alors, vous comprenez, c’est différent. Et donc, à part les végétariens, dont je ne fais même pas partie, il n’y a pas grand monde pour s’émouvoir du tragique destin de ces millions de veaux, vaches, cochons, couvées, qui périssent dans l’anonymat pour nous remplir la panse.

      Tout compte fait, le zoo de Copenhague aurait mieux fait de débiter le brave Marius en tranches de bacon de girafon certifié bio ou en steaks Charal, et tout serait passé comme une lettre à la poste. J’ai bon ?

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      Article : L’image de la semaine: le planteur et son serviteur
      France
      7
      2 février 2014

      L’image de la semaine: le planteur et son serviteur

      Lorsque vous déambulez dans les rues de Paris par un pluvieux samedi d’hiver, un petit détour par la rue Montorgueil, dans le 2e arrondissement, peut s’avérer judicieux pour oublier un instant les doigts humides du froid qui vous massent l’échine et la grisaille obstinée qui pèse sur votre âme comme une enclume de chagrin. Dans cette petite rue piétonne, le flâneur se laisse transporter subitement dans un royaume de délices : boucheries, poissonneries, épiceries fines, chocolateries et fromageries se succèdent en une surenchère d’étalages plus appétissants les uns que les autres. L’anarchie olfactive est totale. Enfin, sauf si vous êtes enrhubé à cause de ce temps de berde. Si vous poursuivez votre escale gourmande dans la rue des Petits-Carreaux, tâchez d’arracher vos yeux affamés aux vitrines aguicheuses et parfumées, même s’il vous en coûte : à quelques mètres au-dessus des impacts gluants des fientes de pigeons sur le pavé, au numéro 10 de cette rue, trône une enseigne qui ne manquera pas de vous catapulter instantanément, à travers les mers et les siècles, vers les rivages langoureux des colonies. Oui Missié !

      "Au Planteur" est un établissement aujourd’hui disparu, mais l’enseigne de la rue Montorgueil témoigne encore
      « Au Planteur » est un établissement aujourd’hui disparu, mais l’enseigne de la rue des Petits-Carreaux témoigne encore de ce passé qui ne veut pas s’effacer. Paris, le 25 janvier 2014.

      La fresque « Au Planteur – Aucune succursale », réalisée à la peinture sur céramique, représente bien ce que vous voyez : un colon, reconnaissable à ses habits (et à la végétation tropicale), assis avec dignité sur des sacs de café, se fait servir un petit noir une tasse de café par un serviteur, nu-pieds et vêtu seulement d’une culotte courte. Exécutée en 1890 par un certain Crommer, elle servait d’enseigne à un magasin de café et de produits exotiques, aujourd’hui disparu.

      Cette œuvre, très « y’a bon Banania », a été inscrite au registre des monuments historiques de Paris par arrêté du 23 mai 1984. Mais en passant devant, vous n’en saurez rien, chers lecteurs, car aucune plaque commémorative n’explique le contexte de l’époque ou la raison pour laquelle le passant de 2014 se voit infliger, sans que personne ne l’ait prévenu, l’un des pires clichés de l’époque coloniale. L’enseigne « Au Planteur » n’est d’ailleurs pas la seule devanture héritée de temps révolus qui hante orne encore aujourd’hui les rues de Paris, une ville au patrimoine architectural quasiment momifié depuis l’Exposition universelle de 1900. Dans le 5e arrondissement, à la rue Mouffetard, l’enseigne de la défunte chocolaterie « Au Nègre joyeux » est nettement plus connue et plus controversée, au point qu’il a fallu installer une feuille de plexiglas pour la protéger des jets de pierres et des dégradations.

      L’histoire est ce qu’elle est, et effacer les traces des épisodes les moins reluisants du passé est certainement contre-productif et dangereux. Mais s’il est possible de monter une structure pour protéger ces reliques assez contestables d’une époque si peu glorieuse, pourquoi ne pas y adjoindre un panneau explicatif, une toute petite note pédagogique ? Cela suffirait pour dissiper les malentendus comme de vulgaires vapeurs d’opium dans une fumerie de Saigon.

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      Article : Abolir ou ne pas abolir la prostitution ? (1/2)
      Actualité
      4
      23 janvier 2014

      Abolir ou ne pas abolir la prostitution ? (1/2)

      Le 4 décembre dernier, l’Assemblée Nationale votait à une très nette majorité en faveur de l’abolition de la prostitution en France (plus précisément, pour pénaliser les clients de prostituées). Pour entrer en vigueur, le projet de loi doit encore être approuvé au Sénat. Le vote devrait intervenir au début de cette année, et risque de raviver le débat passionné que nous avonc connu à l’automne. Bien que l’existence de la prostitution (et surtout, de ses conséquences sordides) dans nos sociétés me semble moralement condamnable, j’ai du mal à adhérer aux thèses abolitionnistes et je doute du pragmatisme de ce combat. Je suis donc allé à la rencontre des associations féministes pour y voir clair dans leur argumentaire, et ai pu m’entretenir avec Maudy Piot, psychanaliste et présidente de l’association « Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir » (FDFA).

      Maudy Piot, militante féministe et non-voyante.Photo: Yanous.com
      Maudy Piot, militante féministe et non-voyante.
      Photo: Yanous.com

      Berliniquais : Bonjour Mme Maudy Piot, pouvez-vous vous présenter et l’association Femmes pour le dire, Femmes pour agir (FDFA) ?

      Maudy Piot : Je suis la présidente et fondatrice de l’association FDFA, que j’ai fondée en 2003. Je suis psychanaliste et je souffre d’une maladie génétique qui m’a rendue aveugle progressivement. J’ai d’ailleurs écrit un livre intitulé Mes yeux s’en sont allés sur le thème de la perte de la vue. Notre association est ouverte à toute personne souffrant de n’importe quel handicap, psychique ou moteur, car nous estimons qu’il est important de ne pas se regrouper uniquement par symptome ou par type de handicap. Nous luttons contre les discriminations qui affectent toutes les personnes handicapées et clamons haut et fort que nous sommes des citoyennes à part entière.

      Quelle est la position de l’association FDFA dans le débat actuel visant à pénaliser les clients de prostituées ?

      « Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir » est une association militante, féminine et féministe. Nous sommes pour l’abolition du système prostitueur, nous sommes pour la pénalisation du client, car comme le dit la ministre Najat Vallaud-Belkacem, si nous parvenons à diminuer la demande, nous diminuerons l’offre. Le corps des femmes n’est pas à vendre.

      « COMPLÈTEMENT BERNÉS »

      À la fin octobre, un manifeste intitulé « Touche pas à ma pute », signé par un groupe qui se désignait comme les « 343 salauds », emmené par la fine fleur de l’intelligentsia masculine parisienne, était publié dans le magazine Causeur. Que vous inspire ce manifeste ?

      Alors là (rires)… D’abord ils ne sont pas 343, ils n’étaient que 19 au départ, et après deux désistements, dont celui de Nicolas Bedos qui en a fait un article, ils ne sont plus que 17. Les autres se sont retrouvés dans cette histoire sans trop savoir à quoi ils s’associaient. Ensuite, c’est d’une malhonnêteté inouïe de se servir de l’intitulé des « 343 salopes » de 1971, qui risquaient la prison à l’époque en avouant publiquement qu’elles avaient subi un avortement. Eux ne risquent rien. On n’entend plus beaucoup parler de ces messieurs d’ailleurs. Disons au moins qu’ils ont eu le mérite de faire parler du débat. Grâce à leur intervention, de nombreuses personnes se sont intéressées à la question, mais pour se rallier à notre cause plutôt qu’à la leur. Cela dit, je me demande pourquoi ils se sont laissé manipuler à ce point par la rédactrice en chef de Causeur, cette Élisabeth Lévy. Elle les a complètement bernés. Peut-être avait-elle des comptes à régler avec les hommes ?

      Avez-vous lu la réponse du STRASS, le Syndicat des Travailleurs Sexuels, à cette tribune des 343 salauds ? Que pensez-vous de la teneur de leur réaction ?

      Oui, je sais qu’ils n’ont pas du tout apprécié ce manifeste. En fait, je cautionne tout à fait leur réponse aux « 343 salauds ». Je pourrais absolument signer ce texte du STRASS. Comme quoi, on peut très bien être à la fois abolitionniste et d’accord avec les travailleuses du sexe de temps à autre.

      « VIOLENCE MASCULINE »

      Le STRASS dénonce le projet de loi de pénalisation, qui « n’est pas un progrès féministe » car « il condamne de nombreuses femmes à toujours plus de clandestinité ». Que leur répondez-vous ?

      Comme toujours, le STRASS exagère. Je doute que de « nombreuses femmes », soient concernées, comme ils prétendent. Bien entendu, l’abolition du système prostitueur n’éradiquera complètement pas la prostitution, c’est clair pour tout le monde. Mais la prostitution est la première des violences envers les femmes. Or, si on veut vivre dans un État qui a une éthique contre ces violences, alors il faut les interdire. L’expérience des pays qui ont aboli la prostitution, comme la Suède, montre bien que c’est le chemin à suivre. J’ai rencontré des élues suédoises au Parlement européen et elles sont formelles : la prostitution est en net recul dans leur pays. Bref, les gesticulations du STRASS ne m’ébranlent absolument pas dans mes convictions. Je sais que nous allons dans la bonne direction.

      Les travailleuses et travailleurs du sexe s’estiment « stigmatisés » par les abolitionnistes, pour qui vendre des services sexuels n’est pas une manière « digne » de survivre. Qu’est-ce qu’un métier digne ?

      La dignité humaine s’allie avec le respect, c’est l’opposé de la déchéance et de la maltraitance. Une femme digne n’est pas obligée de mettre son corps à contribution ; c’est une citoyenne à part entière. J’ai beaucoup de mal à croire les travailleuses du sexe quand elles disent que « c’est pas si difficile que ça », que le baiser est interdit, qu’elles « mènent la séance »… Le plus souvent, c’est faux. Quand on se rend compte de la violence masculine, qu’une femme est tuée tous les deux jours et demi, qu’il y a un viol toutes les sept minutes, on ne peut pas croire que les prostituées échappent à cette violence. Le corps des femmes n’est pas à vendre. Un corps que l’on vend, que l’on maltraite, c’est la négation même de la dignité humaine !

      « RACCOURCIS MESQUINS »

      On avance souvent l’argument selon lequel la prostitution est une forme d’esclavage et n’est jamais jamais choisie. Mais beaucoup d’autres personnes dans la société exercent des professions qu’elles n’ont pas choisies. En quoi les prostituées sont-elles davantage des victimes que des caissières au SMIC horaire, obligées de travailler à des cadences infernales pendant des heures ?

      Vous reprenez l’argument d’Élisabeth Badinter qui compare le choix d’un métier à n’importe quel autre et dit qu’une prostituée gagne plus d’argent qu’une caissière. Mais on est dans l’erreur. Une caissière n’est pas à la merci d’un prostitueur pendant qu’elle fait son travail. La prostituée, d’après toute une série de témoignages, est tellement maltraitée dans son quotidien qu’elle boit et se drogue pour supporter son quotidien. Sans compter le risque d’attraper le SIDA. Vous n’allez pas me faire croire que la caissière du Prisunic est dans le même cas ! Badinter, avec ses comparaisons, se moque de l’être humain. Ces raccourcis mesquins me mettent très en colère.

      Un certain nombre de prostituées semblent travailler à leur compte et gagnent très bien leur vie. Par exemple, Zahia Dehar et Karima El Mahroug alias Ruby Rubacuori, touchaient des milliers d’euros par passe. Souhaitez-vous les empêcher d’exercer leur profession pour faire leur bonheur malgré elles ?

      "Ciao Bello" – Ruby Rubacuori est la jeune prostituée qui a fait tomber BerlusconiPhoto: msn.de
      « Ciao Bello » – La jeune prostituée Ruby Rubacuori a fait tomber Silvio Berlusconi
      Photo: msn.de

      Quoi qu’en disent les médias, ces jeunes femmes n’exercent pas librement leur activité. Pour moi, il n’y a pas de choix. Je condamne la prostitution sous toutes ses formes. Et si ces femmes ne peuvent plus se prostituer soi-disant par choix, c’est tant mieux. Ainsi, on vivra dans une société où tous les citoyens pourront se regarder en face.

      La France est cernée de pays très permissifs en matière de sexe tarifé. Une pénalisation complète ne risque-t-elle pas de déplacer le problème aux frontières, en particulier pour les prostituées les plus vulnérables : les étrangères victimes de réseaux de trafic ?

      Pour l’instant, c’est exactement ce qui se passe. Vous n’avez qu’à voir La Jonquera, à la frontière espagnole, où un deuxième bordel va bientôt ouvrir, si ce n’est déjà fait (NDLR: en fait, les maisons closes « pullulent » déjà à la frontière franco-espagnole). Donc évidemment notre objectif est l’abolition à l’échelle européenne. Cet objectif n’est réalisable que pays par pays. Une fois que la France aura obtenu l’abolition, on pourra se concentrer sur l’Espagne, fermer les bordels à La Jonquera et bien sûr ailleurs en Europe.
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      Beaucoup d’hommes ont déjà payé pour avoir des relations sexuelles. En France, selon diverses études, la proportion atteindrait entre 12 et 20 %, contre atteignent 40 % en Espagne et plus de 70 % en Allemagne. La demande est donc là, c’est indéniable, et ne disparaîtra pas de sitôt. Quels sont les combats à mener pour que la pénalisation des clients se traduise par un recul effectif de la prostitution et du trafic de femmes, au lieu de se solder par un échec comme l’interdiction des stupéfiants ?

      Bien sûr, la demande ne disparaîtra dans l’immédiat. On y arrivera un jour, mais ce sera très long de changer les mentalités et de faire en sorte que la société respecte vraiment chaque individu. Le premier combat, c’est l’éducation. Pour cela, il faut commencer dès la maternelle, changer les critères éducatifs qui gravent dans les cerveaux des enfants la domination des garçons sur les petites filles. Les familles aussi doivent arrêter de reproduire ces stéréotypes machistes. C’est notre culture qui donne à l’homme le droit d’acheter la personne plus faible que lui. Vaincre le système prostitueur n’est pas une utopie, mais un travail de longue haleine qui demandera l’implication de l’ensemble de la société.

      Écoutez mon petit reportage sonore sur le sujet ici.

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      21. déc.
      2013
      Martinique
      0

      Billet collectif: Noël dans la Caraïbe

      Comment fête-t-on Noël dans la Caraïbe, sur ces îles baignées de soleil toute l’année? Les Mondoblogueurs originaires de Guadeloupe, d’Haïti, de la Martinique et de Colombie répondent à tout ce que vous vouliez savoir sur Noël chez nous sans oser le demander…

      Axelle Kaulanjan

      Début décembre, à mon arrivée en Haïti avec Bébé, sur la route de Bourdon, vers Pétion-Ville, seul signe que Noël approche, ces petits arbres secs, dépourvus de feuilles, peints en blanc, les pieds coulés dans un petit pot de « Ti Malice »* rempli de béton. L’année dernière déjà, j’avais remarqué cet arbre de Noël, symbolique, à mon sens, de la résilience typiquement haïtienne. Cette année donc, pas de sapin, mais cet « arbre-de-Noël-choléra », comme l’a surnommé un des amis de Monsieur, en voyant la photo de notre arbre décoré. Avec ce côté frêle, presque chétif, mais en même temps si bien décoré et apprêté avec tous les atours habituels d’un sapin européen, cet arbre à lui seul symbolise, à mes yeux, cette situation de bigidi**, toujours entre deux des pays caribéens. Seuls changent les fards.

      —

      *Ti Malice est une marque de beurre haïtien reconnaissable à ses gros pots jaunes.

      ** Le bigidi est un concept mis en valeur par la chorégraphe guadeloupéenne Léna Blou qui, ayant observé les positions récurrentes des danseurs de gwo-ka, a observé que « (…)c’est comme si le corps était vrillé, fixé sur son ancrage personnel, repère infaillible de son identité intrinsèque et que d’emblée avec une apparente facilité, il pouvait exceller dans l’art du déséquilibre, grâce à ce verrou de sécurité qui le maintenait debout même si il était disparate. » https://fr.lenablou.fr/fr/Lenablou/le-bigidi.html

      Berliniquais

      Décembre à Paris, c’est le moment où la Ville-Lumière mérite plus que jamais son resplendissant surnom. Les illuminations de Noël, ce n’est certes pas ça qui manque ici. Mais alors où est la musique ? Où sont les cantiques ? En Martinique, à peine les bougies de la Toussaint se sont-elles consumées dans les cimetières que toute l’île entonne des cantiques pratiquement sans interruption jusqu’à la veillée de Noël, huit semaines plus tard. Mais pas ici.

      Perdu dans mes pensées, je monte dans une rame de métro bruyante et brinquebalante à la station Bonne Nouvelle. Bonne Nouvelle, dites-vous ? Tiens donc… Le vacarme des freins, des portes et des voyageurs surmenés s’évanouit. J’entends le cri-cri lointain des grillons. La température monte. Les néons blafards laissent la place à une belle nuit étoilée. Battement de tambours, de chachas et de ti-bwa. Une fervente cacophonie de voix avinées se fait entendre, dans un unisson approximatif :

      « Oh ! la BONNE NOUVELLE (bis) /Qu’on vient nous annoncer ! /Une mère est vierge (bis) /Un sauveur nous est né.»

      Le 20 Minutes que j’avais en mains à l’instant se métamorphose sous mes yeux en recueil de cantiques, l’indispensable Annou chanté Noël, compilé par Loulou Boislaville et ses acolytes il y a un bon demi-siècle. Lignes 5 et 6. Des ritournelles plus ou moins paillardes, en créole, s’intercalent sournoisement entre les cantiques sacrés au français châtié des contemporains de Molière. Ligne 7.

      Je descends à Pont-Marie, et la faille spatio-temporelle se referme avec les portes de la rame derrière moi. Quand on le souhaite vraiment, même le métro parisien peut chanter Noël à la manière des Martiniquais.

      Billy

      Quand la Noël arrive en Haïti, on le sent. Notamment à Port-au-Prince. Oui ! A cette époque, on entreprend toutes sortes de décorations partout dans les villes et même dans des zones rurales. On sent venir l’odeur festive de fin d’année. Les médias et autres associations organisent des concours pour récompenser de nouveaux talents. De la musique, bref il y a de la festivité dans l’air. Les 24 et 25 décembre tout le monde est à la rue pour fêter notamment les jeunes et les ados. On va à l’église en famille pour célébrer la messe de minuit et on mange ensemble. C’est l’occasion aussi d’offrir de petits cadeaux aux enfants. Parfois on s’endette pour bien fêter et après le poids des dettes affole. En dépit de tout c’est la fête de la joie, de l’amour, du partage, d’un peu de liberté pour les jeunes et les enfants. Cela reste la fête de toutes les catégories et chacun la célèbre selon ses moyens. Un chaleureux joyeux Noël à tous !

      La Nave Deambula

      J’avoue que le thème m’a au début un peu déconcerté pour le mot « Caraïbes ». Je vis à Bogotá et je ne connais pas la côte. La capitale Colombienne a un climat « froid », cela influence beaucoup la culture et on pourrait dire que cela engendre comme plusieurs Colombies aux ambiances totalement différentes et où les influences socioculturelles diffèrent aussi.

      Je pensais à ça au moment où je suis sortie dans la rue, aujourd’hui (7 décembre) et où c’était le jour de las « velitas » (des bougies), les rues s’éclairent avec des bougies qui se fraient un chemin entre les passants, elles se dessinent au milieu de la foule. Noël ici en Colombie(s) est une attraction. N’importe quelle décoration lumineuse attire les familles qui sont de sorties pour admirer des parcs qui débordent de décorations lumineuses jusqu’à nous en éblouir. Alors qu’en France, Noël est un moment casanier, toutes les familles s’enferment ensemble dans les maisons, ici noël c’est en famille sur le pas de la porte, chaque maison possède des enceintes pour animer les jambes et une marmite (dans laquelle je pourrais rentrer) pour nourrir tout le monde. Alors Noël est en famille mais avec la porte ouverte à l’inconnu, au voisin qui passe par là.

      Mylène

      Quand mes amis de la France hexagonale ou d’ailleurs me questionnent sur Noël en Guadeloupe, je m’amuse toujours à en rajouter un peu, voire beaucoup plus pour leur faire plaisir, car après tout, durant les fêtes, c’est le moment ou jamais d’être charitable.

      Je leur raconte que nous participons TOUS aux fameux « chanté nwèl » ; que le jour du réveillon, nous mangeons TOUS des mets traditionnels succulents – boudins, accras, riz, pois et viande de porc…; que nous buvons TOUS énormément de « ti punch » et encore plus de champagne ; que nous dansons TOUS sur du Kassav et des musiques « spécial fêtes » ; que nous sommes TOUS heureux, suivant l’esprit de Noël. Leurs yeux brillent, BRILLENT !

      Et ensuite, je leur dis la vérité : le Noël Caraïbe, bah, c’est (un peu) comme partout ailleurs, le soleil en plus.

      Nelson Deshommes

      Comme dans de nombreux pays, les haïtiens commencent à préparer Noël dès le début du mois de décembre. Les chants de Noël occupent la première place à longueur de journée à la radio. Les artisans de fanal s’activent pour illuminer les rues de la capitale avec leurs maisonnettes en papier qui font le bonheur de plus d’un.

      Si la tradition de la fête de Noël demeure encore vivante dans l’église, sur un plan purement social on ne prête plus d’attention à cette grande fête familiale.

      Autrefois il était question qu’on envoie des cartes de vœux à ses amis et à sa famille. Aujourd’hui cela ne se fait plus. Rarement on trouve des gens qui vous envoient juste un texto ou un message en utilisant les réseaux sociaux. On apprend plus aux enfants à écrire des lettres au Tonton Noël et de garder espoir de se réveiller avec plein de cadeaux.

      Osman

      Fin novembre-début décembre, le décor est planté pour recevoir le personnage, même s’il y vient rarement. Les airs de noël envahissent les ondes des radios. Les magasins sont décorés à l’effigie du « tonton » aux barbes blanches. Les sapins prennent possession des maisons et des rues.

      24 décembre en soirée, ne demandez pas à personne de rester à la maison. Les rues bondent des jeunes. Le Père de Noël est quelque part, donc il faut le rencontrer.

      Aux alentours de minuit, toujours dans la nuit du 24 au 25, après la messe, place au « réveillon ». Le riz au pois et le bouillon traditionnel font sortir de grosses gouttes de sueurs. Des haut-parleurs vomissent des décibels. Une gorgée de tafia par-ci, un morceau de « griyo » par-là. Et ensemble on chante : « Joyeux Noël et bonne année » !

      Tilou

      En Ayiti, la Noël a changé depuis quelques temps. Les sapins se font plus rares, les rues se vident des marchandes de guirlandes. Nos quartiers ont perdu leurs couleurs et nos villes, leurs chaleurs.

      Plus triste encore, c’est l’esprit de la fête qui s’effrite. Certains avouent ne plus célébrer la Noël parce qu’ils n’ont rien dans la poche, d’autres ne reconnaissent le père Noël qu’en celui qui peut les nourrir. Les souhaits ne s’entendent plus, les vœux ont disparus.

      Beaucoup d’entre nous, nostalgiques, prions que les situations économiques et sociales du pays s’améliorent pour que revivent les couleurs de notre enfance. Mais peut-être que nous nous y prenons mal : Au lieu de chercher notre père Noël en autrui, pourquoi ne pas être le père Noël dont a besoin l’autre ? C’est mon vœu pour les fêtes qui s’amènent. Bon Noël à la Caraïbes et à la terre entière !

      Zacharie Victor

      L’arrivée de Noël en Haïti apporte de nouvelles conceptions et change le quotidien des gens. Surtout en milieu urbain, c’est un moment favorable pour tirer profit économiquement. Les magasins, les boutiques, les entreprises et quelques maisons sont décorés. A la tombée de la nuit, la ville se transforme en une vraie ville de lumière et d’esthéticité. Il y a rabais sur presque tous les produits. Des concours sont organisés, les publicités sont fréquentes sur tous les medias également dans les rues. Les offres sont abondantes, si vous achetez tels produits, vous aurez tels primes. Par ailleurs, on assiste à la multiplication des marchandes dans les rues, sur les places publiques avec des produits très convoités. A cet effet, ça crée une véritable tension ou concurrence au sein des vendeurs ou des consommateurs. Dans différents quartiers, des fêtes sont organisées, soit en famille, entre amis ou pour toute la communauté.

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      Article : À Français, Français et demi
      France
      19
      18 octobre 2013

      À Français, Français et demi

      Un jour, à 24 ans, j’ai découvert la discrimination à Paris. Tout juste diplômé d’une « grande école », un CDI plutôt bien payé en poche, je cherchais un logement. Jeune, fougueux, optimiste, j’étais loin d’imaginer que la discrimination au logement pouvait concerner quelqu’un comme moi. Comme je me trompais ! Voici des extraits quelque peu retravaillés de la lettre que j’ai écrite, quelques mois après les faits, à la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité), un organisme dont je venais juste de découvrir l’existence.

      En cette fin août, mon diplôme en poche, je suis de retour de vacances et je me cherche un nouvel appartement à Paris avant de commencer à travailler en CDI au sein de la société K…. J’aborde cette recherche d’appartement avec confiance : en effet, non seulement je peux faire valoir plusieurs années d’expérience locative à Paris, sans histoire, mais par ailleurs, je pense présenter aux propriétaires particuliers et aux agences immobilières un bon dossier de candidature, susceptible de convaincre rapidement mes interlocuteurs. Ainsi, à chacune de mes visites, je mets en avant ma qualité de jeune diplômé de cette école assez connue, et dans mon dossier figure une copie des pages significatives de mon contrat d’embauche, avec en particulier, la rémunération bien mise en évidence. C’est un salaire suffisant pour payer le loyer du type d’appartement que je recherche (800 € par mois maximum). De plus, je crois mettre toutes les chances de mon côté en me munissant de la garantie de mes parents, documents à l’appui. Mes parents résident et travaillent en Martinique, d’où je suis originaire, et gagnent tous deux un salaire mensuel très correct. Avec un si bon dossier, je suis serein pendant cette rude épreuve qu’est la recherche d’un toit à Paris. Peut-être un peu trop serein ?

      C’est ainsi que, le 25 août, je visite l’agence Laforêt Immobilier « Acta » au 52, rue Montmartre, à Paris 2e. J’y rencontre Madame Azita M., petite femme brune dans la quarantaine, qui m’annonce qu’elle peut me faire visiter un appartement qui m’intéresse. Il s’agit d’un studio de 25 m² à louer pour 790 € par mois à la rue Pierre Lescot dans le quartier des Halles. Elle fixe la date de cette visite au lendemain, le vendredi 26 août à 13 heures, et j’accepte le rendez-vous.

      Je suis le premier arrivé sur le lieu du rendez-vous, avec cinq minutes d’avance sur l’heure convenue. La visite se déroule très bien. L’appartement est bien aménagé, avec une belle mezzanine. Je suis tout de suite intéressé et le fais savoir à Mme M. Je lui présente donc un dossier, et je commence mon argumentaire habituel destiné à marquer des points. Malgré mon discours rôdé, Mme M. se montre extrêmement tatillonne. Fini de tourner autour du pot. Sous mes yeux, mon affable interlocutrice se mue subitement en Grande inquisitrice doublée d’une bureaucrate zélée. D’abord, il manque des documents à mon dossier. En plus, les trois fiches de salaire de mon père ne concernent pas trois mois consécutifs, et elle exige, pour que ce soit plus « net », que je fournisse des fiches de paie correspondant à trois mois consécutifs. Non, vous comprenez, hein Monsieur, mars, avril et juin, ça fait désordre. De plus, elle réclame le dernier avis de taxes foncières, de façon à avoir la preuve que mes parents sont propriétaires de leur maison. Par ailleurs, elle voudrait avoir une attestation de leurs employeurs respectifs. Juste pour être bien sûre qu’ils travaillent vraiment, hein… Ensuite, elle exige que mon dossier comporte mes trois dernières quittances de loyer, alors qu’il n’en contient qu’une. Elle me remet une fiche de renseignements très détaillée que je dois remplir à propos de moi-même et de mes parents. Pour finir, elle me demande sans se gêner pourquoi je quitte mon appartement de l’avenue de Clichy, comme si ça la regardait. Je suis consterné par cette accumulation de documents supplémentaires qu’elle souhaite obtenir, ainsi que par le caractère indiscret de sa dernière question. Mais je n’en laisse rien paraître : je réponds le plus poliment du monde à sa question qui me semble déplacée, et je m’engage à lui fournir le plus rapidement possible les pièces manquantes. Après tout, c’est l’enfer de la recherche de logement à Paris qui veut ça…

      Nous nous séparons peu au bout d’une demi-heure, et je sens que la visite s’est bien passée, malgré le côté particulièrement déplaisant et invasif de cet interrogatoire en règle que j’ai subi.

      Une annonce immobilière à Paris. Il est difficile de se loger dans la Ville Lumière. Alors si en plus on doit subir des discriminations à cause de ses origines...
      Une annonce immobilière à Paris, en juin 2013. Il est difficile de trouver un logement dans la Ville Lumière, et c’est hors de prix. Alors si en plus on doit subir des discriminations à cause de ses origines…

      Quelques heures plus tard, tout bascule. En sortant du métro, j’écoute un message qui vient d’arriver sur mon répondeur. Il est de Mme M., et elle me l’a laissé quelques minutes plus tôt. En voici le contenu, mot par mot :

      « Oui bonjour M. Berliniquais, je suis Azita M. de l’agence Laforêt Immobilier. Ben écoutez, je vous appelais pour vous dire que j’ai regardé un petit peu votre dossier, euh… pour voir un petit peu. Bon j’en ai parlé avec ma directrice, mais finalement nous avons une assurance des loyers impayés sur cet appartement qui refuse les cautions en dehors de France Métropole. Donc, euh… avant de déranger vos parents, j’ai, euh… je voulais vous dire que si vous avez une caution… ou une personne qui peut vous porter garant ici présent, vous pouvez le présenter, mais sinon la caution de vos parents ne passera pas pour cette assurance… Bon, rappelez-moi si vous avez besoin de plus de renseignements, lundi au 01.40.41.xx.yy. Merci ».

      Je n’attends pas le lundi suivant pour contacter Mme M. : je la rappelle immédiatement. Furieux, indigné, je proteste énergiquement et je lui fais comprendre que je me sens aussi humilié que si on m’avait frappé à la figure, et que j’assimile cette clause inattendue à de la discrimination et du racisme, car la Martinique est un département où s’applique l’intégralité de la souveraineté et du droit français (*). Elle ne cesse de répondre qu’il n’en est rien, que c’est une simple clause que l’on rencontre parfois dans les contrats d’assurance, mais que cela n’a rien à voir avec du racisme. Elle insiste bien sur un point : elle n’y peut absolument rien, puisqu’elle ne peut pas passer outre le contrat d’assurance passé entre le propriétaire de l’appartement et l’assureur. Elle tente de m’apaiser en soulignant que c’est un cas particulier qui s’applique à cet appartement et à son propriétaire, mais que cela ne se présente pas de façon systématique. Mais je ne veux rien savoir et lui réponds que ce simple cas particulier est déjà un cas particulier de trop. Lassée de mes vociférations, elle écourte la conversation en prétendant qu’elle a un double appel et qu’elle me recontactera dans la semaine, ce qu’elle n’a pas fait, bien entendu.

      Le lundi suivant, je repasse à l’agence Laforêt pour tenter d’en savoir plus. Mme M. ne souhaite pas coopérer ; elle me rend le dossier que je lui avais donné le vendredi à la rue Pierre Lescot, pour bien me signifier le rejet de ma candidature pour cet appartement. Elle réitère son impuissance devant ce type de contrats, qui selon elle sont parfaitement légaux et sont monnaie courante. Et comme je lui demande le nom de cette société d’assurance, elle me le donne. Il s’agit d’une certaine société Insor. Plus tard dans la journée, j’échoue dans ma tentative d’entrer en contact avec le ministère de l’outre-mer, que je souhaitais informer de cette histoire. Puis, j’apprends que mon dossier est retenu pour un appartement situé près de l’Hôtel de Ville. J’ai donc trouvé un logement, mais je souhaite quand même tirer au clair cette mystérieuse clause du contrat d’assurance, et bien sûr faire valoir mes droits de citoyen français.

      L'agence Laforêt Immobilier de la rue Montmartre, en octobre 2013. Cette agence a l'habitude de faire subir des discriminations aux Français d'origine antillaise, au mépris total de la loi républicaine.
      L’agence Laforêt Immobilier de la rue Montmartre, en octobre 2013. Cette agence a l’habitude de faire subir des discriminations aux Français d’origine antillaise, au mépris total de la loi républicaine.

      Sur le site des Pages jaunes, je note l’adresse de la société Insor : 88, avenue des Ternes, Paris 17e. Je note aussi l’adresse de la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme), au cas où… C’est ainsi que le 1er septembre, vers 17 heures, je me rends à l’adresse des bureaux d’Insor, toujours déterminé à obtenir d’eux le maximum de réponses. Mais sur place, je déchante: Insor n’a pas de bureaux ! Au contraire, une femme qui travaille dans cet immeuble pour une autre société m’apprend que c’est bien ici l’adresse d’Insor, juste pour recevoir le courrier, mais que personne de cette entreprise ne travaille sur place. Elle ne les a jamais rencontrés, et se contente de leur transmettre régulièrement leur courrier. Je lui explique que je souhaiterais vivement rencontrer une personne de cette société, mais elle me répond que ce n’est pas possible. Le seul moyen de communiquer avec Insor, c’est par téléphone ou par fax, mais elle n’a pas le droit de me transmettre leurs coordonnées, ni même la véritable adresse, d’ailleurs. Estomaqué, je lui réponds que le numéro de téléphone est dans les pages jaunes, mais elle rétorque que tout ce qu’il me reste à faire c’est donc de tenter de les joindre au numéro indiqué.

      Après cette nouvelle déconvenue, je commence à être vraiment exaspéré, et par conséquent, avant même d’appeler Insor, je passe directement au siège de la Licra, pour signaler cette histoire de plus en plus étrange. J’y rencontre une jeune juriste, Audrey, qui s’intéresse à mon cas, et qui me demande de tenter de me procurer un original de ce contrat d’assurance et de la fameuse clause. Elle me conseille également d’agir avec prudence et de ne pas révéler que je suis entré en contact avec des associations. Une recommandation pleine de bon sens.

      Le lendemain matin, 2 septembre, j’appelle cette mystérieuse compagnie d’assurances. Et là, c’est une nouvelle surprise : il ne se passe absolument rien. On peut laisser sonner 20 fois ou plus, rien ne se produit. Personne ne décroche, aucun répondeur ne se met en marche, aucun bip de fax ne sonne, aucun message d’erreur ne se déclenche… Cette fâcheuse société Insor a manifestement décidé de se mettre coûte que coûte à l’abri des visites et des coups de téléphone importuns.

      Après ce nouvel échec, je retourne voir Mme M. à l’agence Laforêt Immobilier. Je prépare ma visite, en répétant un scénario destiné à établir une atmosphère de confiance : je commencerai par lui annoncer que j’ai trouvé un appartement. C’est ce que je fais, et notre dialogue commence donc sur un ton amical ; elle me félicite pour mon succès. Je lui parle alors de mes difficultés à entrer en contact avec cette société Insor, et lui raconte mes tentatives infructueuses. Elle tente de minimiser le sérieux de mon propos, et prétend qu’elle n’a jamais eu de contacts avec Insor autrement que par courrier ou par fax. Elle assure ne jamais avoir eu de rencontre ou de contact téléphonique avec quiconque de cette société, et elle ajoute que c’est une pratique fréquente dans « le réseau » des assureurs. Je lui explique alors que dans les Pages Jaunes ne figure qu’un seul numéro de téléphone, et aucun numéro de fax, et que de toute évidence le numéro que j’ai appelé n’est pas celui d’un fax, car il n’y a eu aucun bip. Le regard condescendant, la mauvaise foi dans le ton, elle soutient le contraire : c’est sûrement un numéro de fax, puisque personne ne répond. Et quand je lui demande si elle peut me donner le numéro de fax qu’elle détient, afin de voir si c’est le même numéro qui figure dans les Pages Jaunes, elle se ravise immédiatement sans se démonter : tout compte fait, elle n’envoie jamais de fax à Insor, seulement des courriers, donc elle ne connaît pas leur numéro de fax non plus. CQFD.

      Miséricorde ! C’est tout de même fâcheux à la fin.

      Devant tant de mauvaise volonté, je change de stratégie : je lui demande si elle a un exemplaire de ce contrat d’assurance, avec cette fameuse clause qui est à l’origine de tant de désagréments. Mais je ne suis pas au bout de mes surprises. Mme M. soutient fermement n’avoir aucun écrit témoignant de cette clause, aucun contrat, aucune copie, rien. Abasourdi, je lui demande comment elle savait alors que mon dossier allait être rejeté à cause de la résidence de mes parents hors de France métropolitaine. Sans sourciller, elle me répond qu’elle sait que c’est dans les habitudes d’Insor d’inclure cette clause dans ses contrats, et que d’expérience elle a constaté que cette compagnie écarte systématiquement les dossiers qui ne correspondent pas à ce critère particulier. Elle les a donc devancés en prenant l’initiative de rejeter mon dossier, puisque tout lui permettait de penser a priori qu’Insor le refuserait de toute façon. Mais tout ceci sans la moindre consigne écrite ni le moindre contrat d’Insor, bien entendu. Et puis elle tente de me raisonner :

      « Mais pourquoi vous vous compliquez la vie comme ça ? Vous devriez être content, maintenant que vous avez trouvé votre appartement ! Vous perdez votre temps pour des petits détails comme ça. Franchement, si vous avez tellement de temps à perdre, continuez à essayer de rencontrer Insor, mais vous faites vraiment tout ça pour rien… »

      Elle est complètement à côté de la plaque, et refuse de comprendre qu’on puisse vouloir faire respecter ses droits… Je l’ai donc quittée en lui répondant : « Je ne pense pas que je suis en train de perdre mon temps. Au revoir ».

      Mes démarches pour faire la lumière sur ce contrat ont été malheureusement tenues en échec.

      La discrimination au logement frappe de plein fouet toutes les "minorités" en France, y compris des citoyens français d'origine antillaise.
      La discrimination au logement frappe de plein fouet toutes les « minorités » en France, y compris des citoyens français d’origine antillaise. Image prise là.

      Contre toute attente, au mois d’octobre, j’ai réussi à avoir une conversation téléphonique de quelques minutes avec quelqu’un de la société Insor, en appelant à ce même numéro de téléphone, après beaucoup de tentatives infructueuses. Je n’ai jamais compris pourquoi ils ont été si difficiles à joindre pendant plusieurs semaines. On m’a alors confirmé, le plus tranquillement du monde, que les contrats d’assurance d’Insor comportent effectivement cette clause anti-DOM-TOM sur le lieu de résidence des garants, de manière systématique, pour « d’évidentes raisons visant à réduire le risque en cas de défaut du locataire », m’a-t-on assuré. Que des centaines de milliers de Français soient lésés par une telle disposition n’est qu’une conséquence regrettable de l’éloignement géographique de leur département d’origine, et c’est manifestement le cadet de leur souci. Allons bon, on ne fait pas d’omelette sans casser les oeufs. Et la loi républicaine dans tout ça ? La loi ? Ben voyons !

      Quelques semaines plus tard, en novembre, je me suis fait voler mon téléphone portable, et avec lui j’ai perdu le message de Mme M. que j’avais conservé sur ma messagerie. C’était la preuve de la discrimination que j’avais subie. J’ai porté plainte au commissariat, et tenté de voir avec mon opérateur téléphonique s’il y avait moyen de récupérer le précieux contenu de ma messagerie. Malheureusement, cela n’a pas été possible. La preuve de mon préjudice avait disparu pour toujours. Jusqu’à ce moment fatidique, personne à la Licra ou à la Halde n’avait encore écouté ce fameux message. Il était donc perdu à jamais.

      C’est la seule fois de ma vie que je me suis fait voler mon téléphone et jusqu’à présent, je ne suis pas sûr que cet incident soit un simple hasard… En fait je ne le crois pas du tout. Mais je ne pourrai jamais le prouver. Tant pis.

      Quelques mois après ces événements, j’ai donc reçu le courrier de la Halde m’annonçant qu’ils abandonnaient la procédure faute de preuves. De plus, la Haute autorité renonçait à enquêter sur les agissements plus que douteux de cette société Insor, qui ne devaient pas être très compliqués à prouver. Justice ne me serait donc jamais rendue dans cette triste affaire.

      Cet agent immobilier a bafoué mes droits de citoyen français, une fois de plus, comme la fois où, quelques années plus tôt, la Société générale m’avait refusé un emprunt étudiant pour la même raison : mes parents vivent aux colonies, voyez-vous.

      Allons, jeune homme, si jamais vous veniez à faire défaut sur vos remboursements, comment pourrait-on faire descendre vos parents de leur cocotier et s’assurer qu’ils remplissent leur devoir de garants du prêt, hein? Passez donc votre chemin, et allez quémander ailleurs, petit Bamboula. Nous y’a pas prêter argent à toi. Et puis, pourquoi toi vouloir étudier avec ton petit cerveau de Noir? Toi y’en a rester au soleil et couper la canne à sucre.

      Pourtant, la Société générale a aussi des succursales aux Antilles… Allez comprendre. À l’époque, jeune et impressionnable, j’avais essuyé ce refus incompréhensible, non pas dans une, mais dans deux agences de la « SoGé » en région parisienne, sans faire d’histoires, avant de m’adresser tout simplement à une autre banque plus respectable.

      C’est une étrange sensation que de se voir traiter comme un citoyen au rabais dans son propre pays et de ne pas pouvoir obtenir justice. On peut avoir fait toutes les études qu’on veut, être bardé de diplômes, avoir un bon job, etc. il y aura toujours un moment où cela ne suffira pas, où on ne sera pas assez Français pour avoir les mêmes droits que ses concitoyens de la Métropole.

      Pas étonnant que beaucoup d’Antillais ne se sentent pas Français à part entière, mais plutôt Français entièrement à part.

      (*) – L’article 22.1 de la loi du 6 juillet 1989 précise qu’on ne peut refuser une location à quelqu’un au motif que le garant réside hors de France métropolitaine. C’est clair comme du bouillon de « Klöße », comme on dit en Allemagne.

      Merci Légifrance.
      Merci Légifrance.

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      Article : Athlètes volatilisés : la fuite des costauds
      Actualité
      5
      19 septembre 2013

      Athlètes volatilisés : la fuite des costauds

      Au terme d’une semaine de compétitions sportives et de festivités culturelles, les VIIe Jeux de la Francophonie se sont achevés dimanche dernier, à Nice.

      Outre un très inhabituel palmarès largement dominé, pour changer, par une France pourtant coutumière des profondeurs des tableaux des médailles des grands championnats internationaux (on sait donc enfin à quoi servent les Jeux de la Francophonie), l’événement a été marqué par une série de « fuites » ou, plus sobrement, de « disparitions » d’athlètes africains qui, ensorcelés par le chant des cigales sirènes de l’opulente Europe, ont profité de leur séjour en Côte d’Azur pour s’évanouir dans le maquis. Combien sont-ils exactement, à s’être volatilisés pendant la compétition ? Vingt-six ? « Une trentaine » ? Quarante-huit ? Les chiffres s’entrechoquent. Et les commentaires aussi, comme le relate en détail la blogueuse Sinath.

      La délégation de la RDC lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux de la Francophonie, via AFP
      La délégation de la République démocratique du Congo lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux de la Francophonie, via AFP

      À qui la faute ? Chacun y va de son diagnostic. Consternation face à « l’égoïsme » ou à la « naïveté » de ces sportifs qui ont pris la clé des champs de lavande après avoir touché leurs 1000 € de prime. Dépôt de plainte pour « kidnapping » de la délégation congolaise. Dénonciation véhémente de l’injustice du système des visas Schengen qui fait de l’Europe une terre inaccessible et quasi mythique aux yeux des jeunes Africains, prêts à tout pour conquérir cette imprenable forteresse. Critiques du « manque de fermeté » des fédérations sportives africaines, qui auraient pu éviter ces départs. Condamnation de la déliquescence de ces États-repoussoirs pour leur jeunesse prometteuse… Tous les points de vue ont été entendus sur cette saignée de sportifs subsahariens qui a fait couler beaucoup d’encre sur le continent noir et au-delà.

      Je vois dans cette émigration massive de jeunes athlètes pleins d’avenir la manifestation de leur rêve de liberté et de leur espoir (appelé peut-être à être déçu) d’accomplir ce qui leur semble impossible dans leur pays d’origine. Faut-il vraiment s’en étonner ? Leur en vouloir ? Le phénomène, pour choquant et spectaculaire qu’il soit, n’a d’ailleurs rien de nouveau et ne se limite pas à l’Afrique.

      Ainsi, tout au long de ses quatre décennies d’existence, l’ancienne Allemagne de l’Est a été confrontée elle aussi à la fuite de ses costauds, qu’elle tentait pourtant d’empêcher par tous les moyens. D’après le Ministère est-allemand pour la Sûreté de l’État (Ministerium für Staatssicherheit), plus connu sous le nom de Stasi, ce ne sont pas moins de 615 athlètes originaires de la RDA qui se sont réfugiés à l’Ouest en 40 ans, entre 1949 et 1989 ! Soit une moyenne de 15,4 athlètes par an (je tiens à ma décimale). Les chiffres exacts sont probablement bien plus élevés, d’ailleurs, selon certains historiens. Cet exode des jeunes champions a représenté une véritable hémorragie pour la petite nation socialiste de 16 millions d’habitants qui, rappelez-vous, investissait énormément dans le sport à des fins de propagande, choyait (et dopait allègrement) ses sportifs de haut niveau et récoltait des moissons de médailles dans toutes les compétitions internationales. Comme à Nice la semaine dernière, ce sont parfois des équipes entières qui ont pris la tangente, à l’instar du club de football SG Dresden-Friedrichstadt, vice-champion de RDA en 1950, qui s’éclipsa à l’Ouest comme un seul homme, tout juste un mois après la fin de la première saison de foot de l’histoire de l’Allemagne de l’Est.

      Un nageur est-allemand, via Deutsche Welle. Le papillon prendra-t-il son envol vers la liberté?
      Un nageur est-allemand, via Deutsche Welle. Le papillon prendra-t-il son envol vers la liberté ?

      L’une des anecdotes les plus spectaculaires de défection à l’Ouest de sportifs est-allemands est sans doute celle du nageur Axel Mitbauer, en août 1969. À 19 ans, le jeune athlète déjà double champion de RDA aux 400 mètres nage libre, était pourtant promis à un bel avenir. Mais, accusé par la Stasi d’avoir sympathisé avec des athlètes ouest-allemands et d’avoir envisagé la fuite lors d’une compétition internationale à Budapest en 1968, le jeune homme subit de plein fouet la répression du régime puis la descente aux enfers : emprisonnement en cellule d’isolement pendant plusieurs semaines dans la prison de Hohenschönhausen de sinistre mémoire (immortalisée dans le film La Vie des autres), interminables séances d’interrogation et de torture, puis interdiction à vie de pratiquer la natation. Les perspectives sont alors bien sombres pour le jeune homme, exclu de l’université et désormais sous surveillance étroite de la police secrète. Pendant l’été 1969, le jeune champion réussit toutefois le pari impossible : après être parvenu à semer ses chaperons de la Stasi en sautant d’un train en marche, il gagna la côte et, la nuit tombée, plongea dans l’eau fraîche de la mer Baltique, le corps enduit de vaseline pour retarder l’hypothermie. Il parcourut environ 25 kilomètres à la nage, seul et dans l’obscurité totale, et finit par atteindre une bouée lumineuse dans la baie de Lübeck, où il s’agrippa plusieurs heures jusqu’au matin avant d’être enfin secouru par un ferry, après avoir passé environ dix heures dans l’eau froide. Le jeune homme a ainsi atteint, avec un indéniable panache, son objectif de fuir la RDA et de se réfugier à l’Ouest !

      Axel Mitbauer en 2009 à Karlsruhe, via NZZ
      Axel Mitbauer en 2009 à Karlsruhe, via NZZ

      Si sa carrière ultérieure en RFA ne fut pas aussi exceptionnelle que ce qu’il avait peut-être espéré, Axel Mitbauer put au moins continuer à exercer sa passion, à étudier et, à 63 ans, il entraîne toujours des champions de natation à Karlsruhe.

      Même si le contexte politique et économique de la RDC de 2013 n’a rien à voir avec celui de cette autre République démocratique, l’allemande, de 1969, voilà à quoi me font penser ces désertions massives de basketteuses congolaises, de lutteurs ivoiriens, de cyclistes djiboutiens et de quelques autres la semaine passée à Nice. Je ne peux pas approuver que l’on transgresse les lois de ma République, mais qui suis-je pour condamner ces jeunes pleins de talent et d’ambition, persuadés que leur chance est ailleurs ? Ils croient qu’une vie meilleure les attend en Europe, et sont prêts à tout risquer pour se faire une place au soleil, comme d’autres avant eux. La bonne nouvelle pour nos fuyards, c’est que le soleil, précisément, brille ô combien plus généreusement à Nice qu’à Lübeck. C’est déjà ça de pris.

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      05. sept.
      2013
      Actualité
      3

      Mariage homosexuel célébré dans une église allemande : des réponses du clergé protestant (2/2)

      Le Dr. Volker Jastrzembski, via EKBO
      Le Dr. Volker Jastrzembski, via EKBO

      Suite et fin de l’entretien avec le Dr Volker Jastrzembski, porte-parole de l’Église régionale évangélique de Berlin, Brandebourg et Haute-Lusace silésienne (EKBO).

      LA SAXE AU BORD DU SCHISME

      6. Berliniquais : En France, le débat autour du mariage civil pour les couples du même sexe a été émaillé de polémiques, d’invectives et même de violences. La Fédération protestante s’est exprimée en termes prudents, mais sans ambiguïté en défaveur du mariage homosexuel. Comment le débat se déroule-t-il au sein de l’Église protestante allemande ? Ce thème est-il particulièrement sujet à controverse ? Comment réagissent les paroisses les plus conservatrices? Pourquoi les grandes villes allemandes n’offrent-elles pas le spectacle de manifestations de grande ampleur comme en France?

      Dr. Volker Jastrzembski : Eh bien… pour ce qui est du débat au sein de l’EKD, il y a la controverse relative à la place faite au mariage traditionnel dans le Familiendenkschrift. Évidemment, ces critiques sont tout aussi valables à propos de la démarche de l’Église régionale de Hesse-Nassau, et elles ne lui ont pas été épargnées. En fait, l’issue du débat au sein de l’Église est encore incertaine. Bien entendu, les paroisses de tradition conservatrice prêchent la supériorité de l’union entre un homme et une femme et se fondent sur la Bible. Cependant, un courant d’interprétation des Écritures suggère que ce modèle absolu du couple homme-femme et la condamnation biblique de l’homosexualité ne sont en réalité que la résultante de la culture du peuple hébreu, qui assimilait les relations aimantes entre hommes ou entre femmes à de la promiscuité ou de la pédérastie. La Bible est empreinte de son contexte culturel. De sorte que le rejet biblique de l’homosexualité ne s’applique pas aux couples de même sexe d’aujourd’hui. Mais une fois ces arguments posés, qu’en faisons-nous? Le débat se poursuit encore. Chez nous, à l’Église régionale de Berlin, nous avons des pasteurs et des paroisses qui refusent de bénir les unions homosexuelles. C’est leur droit, et on ne peut pas les y contraindre. Je crois que nous nous dirigeons vers un équilibre de ce type, à terme.

      Le siège épiscopal de l'Église régionale de Berlin-Brandebourg, à l'église St-Georges
      Le siège épiscopal de l’Église régionale de Berlin-Brandebourg, à l’église St-Georges, le 29 août 2013. Photo: Berliniquais.

      Pour ce qui est de l’absence de manifs de grande ampleur, ma foi, je dirais que c’est le résultat d’une certaine tolérance, d’une vision plus libérale de la société. Il semble que l’on soit moins enclin, en Allemagne, à s’exciter et à protester en masse sur ce thème. Ceci dit, il existe ponctuellement des poches de résistance très forte au mariage homosexuel. L’Église régionale de Saxe, par exemple, est au bord du schisme précisément à cause de ce débat. Plusieurs paroisses ont signifié catégoriquement à leur évêque qu’elles n’acceptent pas les règles en cours de préparation. Chez nous, dans la région de Berlin, ce débat n’enflamme guère les foules, c’est le moins que l’on puisse dire.

      7. Berliniquais : Quel est le principal argument des Églises régionales les plus conservatrices contre le mariage homosexuel ? A contrario, quel est l’argument le plus significatif de l’Église de Hesse-Nassau en faveur du mariage pour les couples de même sexe ?

      Dr. Volker Jastrzembski : Après notre discussion, on peut résumer cela rapidement. Pour les églises conservatrices, le rejet du mariage homosexuel se fonde sur les Écritures bibliques, qui condamnent explicitement l’homosexualité et la qualifient de péché. La position des églises comme celle de Hesse-Nassau ou celle de Berlin-Brandebourg, est que les constats bibliques ne correspondent pas à la réalité des couples homosexuels d’aujourd’hui. Par ailleurs, sur le plan théologique, l’amour de Dieu est le même pour tous. Dès lors que deux êtres s’aiment et se comportent avec fidélité et dignité, il n’y a pas de raison que Dieu les condamne.

      DES SIÈCLES DE DIVERGENCES THÉOLOGIQUES

      8. Berliniquais : Très intéressant pour le catholique que je suis… Alors justement, la relation entre l’EKD et l’Église catholique joue-t-elle un quelconque rôle dans cette discussion, comme j’ai pu le lire par endroits ?

      Dr. Volker Jastrzembski : Oui, cela joue un rôle. Par exemple, l’Église catholique elle aussi a fermement condamné les thèses libérales de la Familiendenkschrift. Nous sommes habitués à débattre entre catholiques et protestants. Cependant, après des siècles de divergences théologiques, il est clair que nous n’avons pas la même vision de la famille. Pour nous, le mariage n’est pas un sacrement, mais une institution humaine, séculière. Par conséquent, il est normal que nous ne placions pas le mariage religieux au même niveau d’importance que l’Église catholique. Cette distinction n’a rien de nouveau, elle remonte à la Réforme protestante.

      9. Berliniquais : En cette année électorale, où la thématique du mariage homosexuel a été abordée, ou du moins celle de l’extension aux couples homosexuels des avantages fiscaux réservés aux couples mariés, est-il permis d’interpréter de manière politique cette initiative de l’Église de Hesse-Nassau ?

      Dr. Volker Jastrzembski : C’est amusant ce que vous dites là. Pour moi ces questions du mariage homosexuel ou des abattements fiscaux ne sont pas du tout des sujets de campagne. (En juin dernier, le Tribunal fédéral constitutionnel a statué que les couples homosexuels en partenariat civil doivent bénéficier des mêmes avantages fiscaux que les couples mariés, et le parti social-démocrate propose l’introduction du mariage gay dans son programme de campagne, NDLR.) Le « mariage » célébré à Seligenstadt a bien sûr indirectement une petite dimension politique, mais il ne faut pas imaginer que c’était une sommation à l’État pour qu’il agisse, ou une exhortation quelque chose comme ça. Il n’est pas inhabituel que des discussions d’ordre théologique aient des conséquences politiques.

      EKD: carte des églises régionales et nombre de membres en millions. Jusqu'en 2010, il y avait 22 "Landeskirchen".
      Infographie : Les Églises régionales protestantes en Allemagne et le nombre de membres en millions. Les cinq principales Églises sont celles de Hanovre, de Rhénanie, de Bavière, de Westphalie et du Württemberg, avec entre 2 et 3 millions de membres chacune. Jusqu’en 2010, il y avait 22 « Landeskirchen »: les trois Églises historiques des rives de la Baltique (Nordelbien, Mecklembourg et Poméranie) ont alors fusionné pour former la Nordkirche. Source: EKD

      10. Berliniquais : Dernière question, sans rapport avec le sujet, mais passionnante pour nous les Français installés en Allemagne. Comment l’Église protestante allemande se positionne-t-elle sur la question de l’impôt religieux ? Est-elle du même avis que le clergé catholique, qui a statué récemment que quiconque ne paye pas l’impôt doit quitter l’Église ?

      Dr. Volker Jastrzembski : Pour simplifier, les Églises régionales protestantes, au même titre que l’Église catholique ou que la communauté juive, sont habilitées à collecter un impôt religieux. ll ne s’agit pas à proprement parler d’un privilège ecclésiastique, car certains autres organismes bénéficient du droit, prévu par la Constitution, d’être financés par l’impôt. En l’occurrence, il est vrai que l’appartenance à l’Église implique le devoir de participer solidairement à son financement. Le montant de l’impôt religieux est calculé en fonction du revenu de chaque membre. Ceux qui ont un petit revenu en sont dispensés. Donc en fait la question déterminante n’est pas de payer l’impôt ou pas, mais d’être membre ou pas de l’Église. Dès lors qu’une personne quitte la structure de l’Église, elle se voit dispensée de l’impôt religieux. Elle peut bien sûr continuer à se considérer comme chrétienne, mais en tant que non-membre de l’organisation, elle ne pourra pas prétendre à des prestations comme un mariage à l’église ou de funérailles religieuses.

      11. Berliniquais: Nous sommes arrivés au bout de cet entretien. Mais il nous reste la question bonus. Si Jésus-Christ revenait demain, quel message porterait-il à l’Humanité ?

      Dr. Volker Jastrzembski : (Rires). Un message de réconciliation. Que les hommes cessent enfin de se déchirer et fassent la paix. Partout.

      Berliniquais : Herr Doktor Jastrzembski, je vous remercie.

      Interview complète, en allemand, à écouter sur Soundcloud (34 minutes) :

      CONCLUSION PERSONNELLE

      Les mariés de Seligenstadt, Christoph et Rüdiger Zimmermann, sont ensemble depuis plus de dix ans et ont élevé ensemble un enfant, le fils de Rüdiger, resté avec son père après le divorce de ses parents. J’ignore pourquoi la mère n’a pas eu la garde l’enfant. Mais le jeune homme, aujourd’hui âgé de 18 ans, semble en parfaite santé, comme toute personne ayant grandi dans un foyer heureux. Il a porté les alliances pendant une cérémonie de mariage présidée par une femme pasteur, Leonie Krauss-Buck, détail supplémentaire qui souligne encore davantage, si cela était encore nécessaire, le contraste flagrant entre le progressisme protestant et l’immobilisme du dogme catholique.

      Ces derniers mois, la principale occupation des catholiques français a été de manifester contre le droit des homosexuels à se marier civilement, même après le vote de la loi républicaine au Parlement. À la lumière de cette discussion particulièrement enrichissante et intellectuellement passionnante avec un homme d’église sur des questions de mariage religieux, un théologien plein d’intelligence et de compassion qui préfère utiliser son cerveau plutôt qu’agiter des pancartes roses pleines de peur et de vide, je suis moins que jamais disposé à comprendre les gesticulations des imposteurs de la Manif pour tous. La bonne nouvelle, c’est qu’on en a fini avec eux. Maintenant, comme l’a dit le pasteur, il ne nous reste plus qu’à nous réconcilier…

      Une affiche de la Manif pour tous caricature Mme Taubira en King Kong. De mauvais goût ? Limite raciste ? Photo Huffington Post
      Une affiche de la Manif pour tous caricature Mme Taubira en King Kong. En plus ils sont d’un goût exquis, ces jeunes gens de bonne famille… Photo Huffington Post

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      04. sept.
      2013
      Actualité
      19

      Mariage homosexuel célébré dans une église allemande : des réponses du clergé protestant (1/2)

      En célébrant religieusement une union homosexuelle en la paroisse protestante de la petite ville de Seligenstadt près de Francfort-sur-le-Main, l’Église évangélique de Hesse-Nassau, l’une des vingt Églises régionales autonomes regroupées au sein de l’Evangelische Kirche in Deutschland (EKD), a créé la surprise en Allemagne et en Europe le 11 août dernier.

      En effet, le mariage homosexuel n’existe pas en Allemagne, où les seules unions matrimoniales officiellement reconnues sont les mariages civils, réservés aux couples hétérosexuels. Depuis 2001, les couples de même sexe résidant en Allemagne ont la possibilité de faire reconnaître civilement leur union dans le cadre d’une eingetragene Lebenspartnerschaft ou « contrat de communauté de vie », qui leur accorde certains droits, à l’exception notable des avantages fiscaux et de la possibilité d’adopter, deux privilèges réservés aux seuls couples hétérosexuels mariés. Un mariage homosexuel n’est pas à l’ordre du jour et ne figure pas au programme du parti politique de Mme Merkel, archi-favorite en cette année électorale.

      Christoph et Rüdiger Zimmerman se sont mariés le 11 août 2013 en la paroisse de Seligenstadt. Photo evangelisch.de
      Christoph et Rüdiger Zimmerman se sont mariés le 11 août 2013 en la paroisse de Seligenstadt, en Hesse. Photo: evangelisch.de

      Je m’attendais donc à un véritable tollé, à une levée de boucliers suite à cet événement survenu au sein d’une Église protestante qui revendique tout de même 24 millions de pratiquants, soit 30% de la population allemande. Il y a bien eu quelques grincements de dents, mais étonnamment, dans la langueur estivale, cet énorme pavé dans la mare n’a guère fait de vagues. Les médias francophones qui ont relayé la nouvelle du mariage de Christoph et Rüdiger Zimmermann se sont tous contentés de recopier strictement la même dépêche AFP qui, en quatre paragraphes laconiques, soulevait bien plus de questions qu’elle n’apportait de réponses. Quelle est la valeur légale de ce mariage? Quels sont les enjeux pour l’église protestante allemande, à première vue très divisée sur la question? Comment réagit la société allemande en général? Aucun de ces thèmes n’étant abordés dans la presse française, j’ai décidé de faire mien l’adage « aide-toi et le Ciel t’aidera » et d’aller moi-même, la casquette de Mondoblogueur vissée sur le crâne, interroger la hiérarchie de l’Église autonome protestante de la région de Berlin-Brandebourg-Haute Lusace Silésienne (EKBO).

      Le pasteur Volker Jastrzembski, docteur en théologie et porte-parole de l’Église régionale berlinoise, ayant aimablement accepté de convenir d’un rendez-vous pour répondre à mes questions, je disposais d’une semaine pour préparer une interview, m’exercer à articuler correctement le nom de mon interlocuteur, habituer ma bouche réfractaire à prononcer en un souffle des mots barbares comme gleichgeschlechtlich (« de même sexe »), et surtout, négocier la chausse-trape ultra-classique de la subtile distinction phonétique entre Kirche (« église ») et Kirsche, qui veut dire « cerise ». Le jour J, mes laborieux exercices de diction ne m’ont pas été d’un grand secours, mais le pasteur Jastrzembski, plein de compassion et animé de charité chrétienne, ne m’a même pas ri au nez, bien que j’aie piteusement écorché son patronyme prodigieusement riche en consonnes et systématiquement parlé de « cerises évangéliques ». Voici un compte-rendu de notre entretien, enregistré le jeudi 29 août au siège épiscopal de l’Evangelische Kirche Berlin Brandenburg schlesische Oberlausitz (EKBO).

      « UN MALENTENDU »

      Dr. Volker Jastrzembski, via EKBO
      Dr. Volker Jastrzembski, via EKBO

      1. Berliniquais : Herr Doktor Jastrzembski, il y a deux semaines, le public francophone a appris cette nouvelle sensationnelle: un couple homosexuel bavarois s’est marié religieusement dans une église évangélique en Hesse. Pourtant, en Allemagne, les couples de même sexe ne peuvent officialiser que des partenariats civils et n’ont pas la possibilté de se marier. Par conséquent, comment ce mariage religieux a-t-il été légalement possible?

      Dr. Volker Jastrzembski : C’est le premier malentendu dans cette histoire. L’Église évangélique de Hesse-Nassau n’a pas célébré de mariage religieux homosexuel à proprement parler. Il s’agit en réalité de la bénédiction d’une union homosexuelle qui, à la différence des unions bénies par l’Église jusqu’à ce jour, sera actée en droit religieux et inscrite au registre paroissial de la Hesse-Nassau.

      MARIAGE CIVIL VS. MARIAGE RELIGIEUX

      2. Berliniquais : Ah bon ? C’est fou. Tous les médias français ou allemands parlent pourtant copieusement de « mariage religieux », de « kirchliche Trauung » ou encore « Ehe ».

      Dr. Volker Jastrzembski : C’est vrai, ces mots ont été employés à la légère, et au bout du compte ce sont des affirmations inexactes. Les couples homosexuels unis civilement ont depuis quelques années la possibilité de faire bénir leur union dans plusieurs Églises autonomes allemandes, aussi bien en Hesse-Nassau qu’ici à Berlin-Brandebourg-Haute Lusace. La différence, c’est que l’Église régionale de Berlin, et les autres Landeskirchen, n’inscrivent pas ces bénédictions dans leurs registres paroissiaux. Cet été, l’Église autonome de Hesse-Nassau a simplement décidé que dorénavant, elle homologuera officiellement ces unions dans ses registres, au même titre que les mariages traditionnels.

      3. Berliniquais : Le couple formé par Christoph et Rüdiger Zimmermann n’est pas marié civilement. En Belgique et en Suisse, il est formellement interdit de célébrer religieusement une union antérieurement au mariage civil. En France, une telle démarche est même un délit passible, pour le ministre du culte, de six mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende. Est-ce également le cas en Allemagne?

      Dr. Volker Jastrzembski : En théorie, il est possible en Allemagne de se marier religieusement sans être marié civilement. L’obligation de l’antériorité du mariage civil, qui existait ici comme dans les pays voisins, a été supprimée par le législateur cette année ou l’an dernier il me semble (NDLR: cela remonte au 1er janvier 2009). Cependant, l’Église protestante allemande (EKD) a décidé de continuer à exiger des couples candidats au mariage religieux une preuve de leur mariage civil. La raison de cette décision est de nous assurer que nous célébrons des mariages reconnus par la loi, avec toutes les conséquences juridiques qui en découlent. Sinon, par exemple, que ferions-nous en cas de séparation des époux ? Il serait trop complexe de reconnaître religieusement des mariages dépourvus de base légale, donc nous ne le faisons pas. Et en l’occurrence, je le rappelle, la cérémonie de Seligenstadt n’était pas un mariage, mais une bénédiction officialisée dans les registres paroissiaux, donc là encore il n’y a pas de problème d’antériorité du mariage civil.

      « DIFFÉRENCE MINIME »

      4. Berliniquais : Je vois. Mais puisque nous y revenons, quelle est la différence, pour l’EKD, entre un mariage au sens strict (kirchliche Trauung) qui, si je comprends bien, reste réservé aux couples traditionnels hétérosexuels, et cette nouvelle forme de « bénédiction » homologuée au registre (beurkundete Segnung), qualifiée de « mariage » dans tous les médias ?

      Dr. Volker Jastrzembski : La distinction est essentiellement d’ordre théologique, et il est vrai que dans la réalité de la vie courante, hors de l’Église, la différence entre les deux est minime et tend à s’amenuiser toujours plus jusqu’à devenir complètement imperceptible. Il n’est pas rare que les couples homosexuels auxquels nous accordons notre bénédiction parlent de « mariage ». Au sein de l’Église, les thèses centrales exposées dans le Familiendenkschrift (livre de référence publié en juin 2013 par l’Église évangélique allemande sur les thèmes de la famille) ont été vivement critiquées par des membres éminents de l’EKD, arguant que le livre ne faisait pas au mariage traditionnel la place qui lui revient. Les thèses du Familiendenkschrift reconnaissent officiellement les bouleversements de la famille traditionnelle et l’évolution du cadre légal. Elles décrivent et acceptent la diversité de modèles familiaux de la société contemporaine, ce qui leur a valu la désapprobation des théologiens favorables à la reconnaissance du rôle central du mariage homme-femme comme noyau de la famille et de la société. Cette position se fonde dans la tradition d’exégèse des textes bibliques. Mais il est possible que, la société et la législation évoluant vers une toujours plus grande reconnaissance des couples de même sexe, nous soyons amenés, à l’Église régionale de Berlin, à concilier toujours plus les aspects séculaires et religieux de ces unions homosexuelles, de sorte qu’à terme il n’y aura plus vraiment de différence avec le mariage traditionnel. Ceci dit, pour l’instant cette évolution n’est pas à l’ordre du jour à l’EKBO.

      Les 20 Églises régionales protestantes ont des racines anciennes. Leurs frontières ne correspondent pas à celles des Länder actuels. Source: EKD.
      Les 20 Églises régionales protestantes ont des racines anciennes. Leurs frontières ne correspondent pas à celles, en trait bleu, des Länder actuels. Source: EKD.

      5. Berliniquais : Entre les vingt Églises régionales protestantes qui constituent l’EKD, la situation varie grandement en matière d’intégration des couples de même sexe. Le quotidien Tageszeitung vient de rappeler que la plus grande Landeskirche allemande, celle de Hanovre, refuse de bénir les unions civiles homosexuelles, tandis que 14 des 20 Églises régionales autonomes le font depuis des années. Suite à la cérémonie de Seligenstadt, des Landeskirchen importantes comme celle de Bavière, de Westphalie ou du Württemberg, ont d’ores et déjà pris leurs distances et annoncé qu’elles ne franchiront pas l’étape de l’inscription aux registres paroissiaux de ce type d’union. De toute évidence, l’Église évangélique d’Allemagne refuse de trancher à l’échelle nationale. Ainsi, MM. Christoph et Rüdiger Zimmermann, qui vivent à Aschaffenburg, en Bavière, ont dû aller en Hesse-Nassau pour se marier. C’est une situation qui peut sembler troublante. Les chrétiens ne sont-ils plus égaux devant Dieu ? Une telle diversité de statuts peut-elle perdurer au sein de l’EKD ?

      Dr. Volker Jastrzembski : Rappelons que l’EKD n’est pas une Église à proprement parler, mais en réalité une fédération d’Églises. Chacune des vingt Landeskirchen régionales qui constituent cette fédération est complètement autonome, dotée d’une Constitution qui lui est propre, et compétente pour définir ses lois. De plus, à cette organisation territoriale se superposent les diverses dénominations religieuses : églises luthériennes, églises unies, églises réformées, qui n’ont pas la même sensibilité théologique. Il est donc tout à fait normal que les lois et statuts varient énormément d’une région à l’autre. Par exemple, les Luthériens sont plus stricts, plus traditionnalistes en matière de lecture et d’interprétation de la Bible. Or, ils sont prédominants à Hanovre et en Bavière, ce qui explique que ces Églises régionales soient plus conservatrices. En Hesse-Nassau, en revanche, l’Église unie, de tradition plus réformatrice, a davantage de poids. L’EKD n’a pas vocation à diriger les Églises régionales ni les différents courants religieux comme une autorité centrale.

      Vue sur la Zionskirche, dans le quartier de Berlin-Mitte.
      Une église protestante emblématique : la Zionskirche, dans le quartier de Berlin-Mitte, photographiée en juillet 2013 (Berliniquais).

      Fin de la première moitié de l’interview. À suivre ici.

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      Berlin. Martinique. Ailleurs.

      Auteur·e

      L'auteur: Berliniquais
      Je viens de la Martinique et je me suis installé à Berlin en 2008. Je vous parle de tout ce qui m'inspire, dans le désordre. Evidemment ça concerne surtout l'Allemagne, les Antilles et la France. Parfois de voyages, parfois d'actualité, souvent un peu n'importe quoi.

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